Edito: Fatwa, apostasie et droits humains
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Naceureddine Elafrite
Le 21 avril 2013 à 7h00
Modifié 11 avril 2021 à 2h35L’avis délivré par le conseil des oulémas au sujet de l’apostasie a soulevé une émotion vive et légitime, tant le décalage est grand avec les dispositions de la loi fondamentale, celles du droit positif et également les valeurs de notre époque[i]. En portant la contradiction à la connaissance du public, la presse a joué son rôle et il est intéressant de voir que le débat est en train d’être tranché dans le sens de la conciliation de la religion avec la pensée universelle des droits de l’Homme.
Au Maroc, comme dans tous les pays musulmans, chacun d’entre nous porte à la fois le poids de la tradition et celui de la modernité. Le juriste et islamologue Yadh Ben Achour a bien étudié ce phénomène que certains qualifient de schizophrénie. La « fatwa » du conseil des oulémas est un vestige, une inertie du passé. Porter ce double poids peut conduire comme ici, à une contradiction ; la manière dont celle-ci est dépassée crée un précédent, fait jurisprudence sur le plan social et politique.
La réponse est manifestement venue du plus haut niveau de l’Etat. Vendredi 19 avril 2013, le prêche du vendredi en présence du Souverain qui effectuait une visite à Safi, a été consacré à la liberté en islam. « L'homme est libre, sinon il ne serait pas responsable de ses actes », expliquait le texte du prêche[ii]. En quelque sorte, indirectement par le bais de ce prêche, le Roi a dit le droit, la norme. Un moment à retenir.
Concilier l’islam avec la pensée contemporaine des droits de l’Homme, rappeler, marteler l’importance qu’accorde l’islam à la liberté, voilà la voie que suggèrent des penseurs reconnus, pour replacer les musulmans dans l’histoire universelle[iii].
La seconde remarque que suggère cet épisode, consiste simplement à rappeler que la charia est une « construction humaine »[iv]. Comme le dit Mohamed Tozy, ces oulémas ont une « solidarité inter-générationnelle ». Ils sont solidaires avec les savants des siècles qui ont suivi la révélation. Ils ne sont pas en phase avec leur époque. Ils croient dire l’orthodoxie, alors qu’ils ne font que paraphraser leurs (très) lointains prédécesseurs.
A cet égard, le champ religieux au Maroc a connu de profonds changements manifestement voulus au sommet de l’Etat. Dès lors que la démocratie[v]a été choisie comme option stratégique et éthique, la restructuration du champ religieux devenait inévitable.
Maîtriser le champ religieux, en garder le monopole, l’orienter vers une doctrine officielle de conciliation avec la modernité, réaffirmer l’unité religieuse du pays, moderniser avec la religion et non contre elle, voici quelques uns des choix qui ont été faits et qui ont permis d’imposer par exemple la nouvelle moudawana. La question de la femme est en effet centrale lorsqu’on veut construire une démocratie, c’est-à-dire une égalité totale, sur la base de la seule citoyenneté. L’islam a eu et peut avoir un apport exceptionnel dans tous les domaines, à condition que les êtres humains qui l’interprètent, fournissent les bonnes réponses à deux questions : la femme est-elle l’égale de l’homme ? le non-musulman est-il l’égal du musulman ? Toutes les manifestations du radicalisme religieux se réduisent finalement à cela.
[i] Lire nos articles ici et ici. Le sujet avait été soulevé par le quotidien Akhbar Al Youm puis par lakome.com.
[ii] Après avoir rappelé les libertés individuelles et collectives garanties par l'Islam, telles que la liberté de culte, la liberté d'expression, de propriété, l'imam a affirmé qu'au regard du coran et de la tradition, ces libertés sont préservées par des garanties qui protègent les droits de ceux qui en jouissent au même titre que ceux d'autrui. Il a particulièrement mis en exergue la place distinguée qu'occupe la liberté de culte en Islam, précisant qu'aucune contrainte ne doit être pratiquée pour se convertir à la sainte religion.
L'imam a souligné, dans ce contexte, que l'institution de la commanderie des croyants est la seule habilitée à réguler par la loi les conditions d'exercice de cette liberté pour éviter que cette liberté ne soit pas prise comme prétexte pour tenter de jeter le trouble sur la marche du pays, attenter à sa dignité, car, a-t-il dit, la nation est sacrée est transcende les individus. (Source : MAP)
[iii] Yadh Ben Achour pense que les pays musulmans qui ne réussiront pas cette conciliation sortiront de l’histoire. Il parle d’un risque de suicide collectif. Il estime également que l’islam est un précurseur indéniable en matière des droits humains comme le montre une simple lecture du coran. (La deuxième Fatiha, l'islam et la pensée des droits de l'homme. PUF).
[iv] Mohamed Arkoun.
[v] Lire par exemple « L’Etat inachevé. La question du droit dans les pays arabes ». Ali Mezghani. Gallimard.