Le numéro vert destiné aux femmes battues supprimé en catimini
C’est dans le cadre d’une enquête sur la violence à l’égard des femmes que Médias 24 a fait une triste découverte : le numéro national d’assistance des femmes victimes de violence a disparu.
Le numéro vert destiné aux femmes battues supprimé en catimini
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Dalal Saddiqi
Le 23 avril 2013 à 10h30
Modifié 11 avril 2021 à 2h35C’est dans le cadre d’une enquête sur la violence à l’égard des femmes que Médias 24 a fait une triste découverte : le numéro national d’assistance des femmes victimes de violence a disparu.
Lancé en 2005 par la secrétaire d'Etat chargée de la famille Yasmina Baddou, en partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour les populations, le numéro vert national de lutte contre la violence à l'égard des femmes avait fait l’objet d’une vaste campagne médiatique. Des dizaines d’articles encensaient cette nouvelle initiative et le 0 8000 8888 sonnait comme une lueur d’espoir pour les Marocaines en détresse. Par un simple coup de fil, elles pouvaient désormais, à n’importe quel moment, gratuitement et de manière anonyme, être écoutées, orientées et conseillées par une équipe de téléopératrices installées au sein même de ministère du Développement social. Une petite révolution pour ces victimes, qui pouvaient alors menacer d’appeler « les secours » et faire pression sur leurs « agresseurs ».
« Neuf téléconseillères parlant français, arabe, tamazirt, tachelhit et tarifit reçoivent les appels à partir de 8h 30 jusqu'à minuit. Elles travaillent 7 jours sur 7, garantissant une permanence pendant les jours fériés », pouvait-on lire sur l’édition du 24 février 2006 du quotidien Aujourd’hui le Maroc.
Mutation puis disparition du centre d’écoute national
Trop beau pour être vrai. Très vite, les standards ont certes été pris d’assaut par les femmes battues, mais les petits blagueurs étaient également de la partie et les lignes étaient constamment saturées. Sans compter que les fonds nécessaires au maintien du centre d’écoute se sont rapidement amenuisés. « Afin de réduire les charges du centre d’écoute national, le numéro vert a été remplacé par le numéro économique 345, facturé à 1 DH », nous a déclaré Nouzha Skalli, ministre de la Famille de 2007 à 2012.
Or, bien que l’ex-ministre nous ait certifié que le 345 était encore actif lors de son départ du gouvernement, et qu’il figure encore sur la page du ministère de la Solidarité, de la famille, de la femme et du développement social de Bassima Hakkaoui, le numéro économique figure à son tour aux abonnés absents. Même les opérateurs du 160 se trouvent face à une case vide lorsqu’ils renseignent le champ « numéro national de lutte contre la violence à l’égard des femmes ». Des sources ministérielles nous ont même confié que les opératrices du centre d’écoute national avaient quitté leur poste pour des postes plus stables, au ministère.
La liste des centres d’écoute d’Anaruz
Consciente des conséquences de la disparition de ce centre d’écoute national, l’équipe de Medias24 a entrepris de recenser tous les centres d’écoute du Maroc et de mettre leurs numéros à disposition de ses lecteurs. Pour cela, il suffisait d’effectuer une recherche sur internet pourrait-on penser, mais la tâche s’est avérée bien plus ardue qu’il n’y parait. Et pour cause : chaque association féminine a ses propres domaines de compétence et agit dans un territoire géographique déterminé, sans compter que toutes ne disposent pas d’un centre d’écoute. Par exemple, la même association féminine peut avoir un centre administratif à Casablanca, différentes antennes nationales, mais un centre d’écoute qui ne couvre que la région de Rabat. D’ailleurs, le rôle du numéro national était justement de permettre aux femmes de retenir un seul numéro, qui centralisait ce type d’informations pour pouvoir les orienter vers la bonne adresse.
Finalement, c’est en contactant le réseau national des centres d'écoute des femmes victimes de violences au Maroc (Anaruz) que nous sommes parvenus à collecter une liste de plus de 40 centres d’écoutes à travers le Maroc et que vous pouvez télécharger sur le lien ( images/fils/repertoire du reseau national des centres decoute.pdf).
Entre la violence et l’écoute s’écoule un temps précieux
La gravité de la disparition du numéro vert (ou économique) national n’est donc pas due au fait que l’appel vers le centre d’écoute soit gratuit ou payant, mais bien à la difficulté des femmes victimes de violence à trouver le bon téléphone ou la bonne adresse, et ce alors qu’elles peuvent être blessées ou en état de choc.
La question se pose alors de savoir comment ces femmes victimes de violence, alors qu’elles n’ont pas de numéro unique à retenir et à composer en cas de détresse, parviennent à se faire aider. « Seules 10% des femmes passent pas notre centre d’écoute. La plupart du temps, les femmes victimes de violence viennent nous voir sous le conseil de femmes qui nous connaissent ou ont déjà eu recours à nos services. D’autres viennent à nous en passant devant le centre et en lisant la plaque. Parfois, ce sont même des fourgons de police qui les déposent directement à l’association ou le tribunal et les hôpitaux qui leurs conseillent de venir nous voir. Mais quand il y a des campagnes de communication sur les journaux, comme pendant la journée de la femme le 8 mars, beaucoup de victimes viennent à l’association », nous déclare Zahra Ouardi, secrétaire générale de la section Casablanca de l'Union pour l'action féminine (UAF).
A défaut de numéro d’appel d’urgence et de campagnes de communication régulière, c’est donc par le bouche à oreille et au hasard des rues que les Marocaines trouvent conseil auprès des associations de défense des droits des femmes. Celles-ci les guident alors dans leurs démarches et procédures en cas de plainte, les soutiennent en cas de coup dur, et les écoutent, surtout. Mais souvent, le contact est long à se faire et le temps perdu peut être fatal. C’est le cas notamment en cas de coups et blessures ou en cas de viol, lorsque leurs séquelles se sont estompées alors qu’il fallait établir un certificat médical pour en apporter la preuve.
Dix ans après, la stratégie nationale est au point mort
Comment le Maroc en est-il encore à laisser ses femmes violentées à leur sort et à tourner le dos aux quelque 6 millions de Marocaines ayant été victimes de violences (enquête HCP- 2011) ? Surtout alors que le royaume avait été, dès 2002, le premier pays arabo-musulman à s’être inscrit dans une Stratégie nationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes. Trois gouvernements se sont succédés depuis mais les statistiques restent alarmantes. « Nous avons toujours considéré cela comme une coquille vide car il y a une multitude de projets mais pas de politique publique bien déterminée. Il n’y a pas de continuité puisqu’il n’y a pas de vision stratégique », nous déclare AtifaTimjerdine, présidente du réseau Anaruz.
« Que s’est-il passé de nouveau à part le code de la famille, et même dans ce cas, lorsqu’un jugement est rendu, qu’est ce qui est fait pour appliquer la loi ? On entend parler de stratégies et de programmes mais il n’y a pas de suivi. Pour ce qui est du nouveau gouvernement, les affaires de la femme ne sont pas prioritaires dans l’agenda politique de Bassima Hakkaoui. Le PJD s’intéresse à la Caisse de compensation et aux problèmes financiers. Il n’est pas en accord avec la nouvelle constitution et le progrès : il n’y a donc pas de changement », conclue Zahra Ouardi.
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Le 23 avril 2013 à 10h30
Modifié 11 avril 2021 à 2h35