Exclusif. La nouvelle stratégie décennale de la BAD expliquée par Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président.
Dans un entretien exclusif accordé à Medias24, Mthule Ncube détaille la nouvelle stratégie de la Banque africaine de développement.
Exclusif. La nouvelle stratégie décennale de la BAD expliquée par Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président.
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Hajar Raouf
Le 1 juin 2013 à 13h17
Modifié 11 avril 2021 à 2h35Dans un entretien exclusif accordé à Medias24, Mthule Ncube détaille la nouvelle stratégie de la Banque africaine de développement.
Quels sont les plus grands défis pour le secteur financier en Afrique de façon globale?
Comme vous le savez, le secteur financier en Afrique n’est pas très développé en comparaison avec les standards internationaux. En Afrique, le secteur financier est dominé par le secteur bancaire à l’opposé des marchés financiers où les financements passent à travers les marchés obligataires, des valeurs mobilières ou des matières premières ; mais il y’a tout de même des progrès. Le marché des changes à titre d’exemple a connu de grands changements notamment par la réduction des contrôles de change. La plupart des pays ont assoupli leur réglementation de change ce qui a permis au système de se développer bien qu’il reste relativement petit en termes de taille.
Justement, compte tenu de la volatilité du marché des changes et des devises, les instruments financiers de couverture sont-ils assez développés pour protéger les positions des investisseurs ?
Non pas du tout. L’Afrique manque de produits financiers innovants notamment en instruments de couverture et d’autres pour la prise de position alors que je pense que c’est l’Afrique qui en a le plus besoin. Dans un marché de valeurs mobilières marqué par si peu de liquidités, ça peut prendre près de 5 jours pour acheter des actions en raison de cet assèchement en liquidité. Mais si vous pouvez négocier une «option call», celle-ci vous donne le droit d’acheter (ou non) une action dans deux semaines par exemple ou à n’importe quelle durée définie. Vous n’avez plus qu’à payer ce produit dérivé, l’option call, et l’exercer lorsque le titre sera disponible. L’innovation (financière) à mon sens est en partie une solution pour les changements que l’on observe actuellement dans les marchés financiers en Afrique.
Ces produits financiers sont importants pour se protéger contre d’autres types de risques, notamment ceux de contrepartie ou même du risque pays, compte tenu de l’instabilité politique et économique de plusieurs pays…
Absolument. Dans ce contexte de développement que connaît l’Afrique, l’accent doit être mis sur ces produits pour couvrir tous ces types de risques (de marché, de liquidité, risque pays). Prenez l’exemple des agriculteurs, ils vendent leur production avant livraison (forward) et de ce fait peuvent souffrir d’une rétribution insuffisante. C’est là toute l’importance de la protection contre un risque d’effondrement des prix. Et cela doit être mis en place. Mais des progrès sont en cours comme en Ethiopie où la couverture sur les matières premières est désormais possible en plus de la performance du marché des matières premières en Afrique du sud. Celle-ci est la meilleure sur le continent mais nous avons besoin de davantage de réformes. Plusieurs initiatives sont lancées pour créer d’autres marchés de matières premières bien que nous ayons encore un long chemin à parcourir.
Dans ce sens, on peut penser aux efforts d’intégration financière régionale. A votre avis, quel rôle jouera Casablanca Finance City en tant que hub financier en Afrique du Nord et en collaboration avec la meilleure place africaine en Afrique du Sud ?
Tel que je le perçois, ce sera une collaboration d’hommes en premier entre la CFC et les autres places financières de la région. Le partenaire naturel sera l’Afrique du Sud et puis il y’a le rôle que joue les banques marocaines qui s’installent dans de plus en plus de pays africains. Ce serait formidable de voir des institutions bancaires marocaines cotées sur la place de Johannesburg et inversement. Ce n’est que l’une des idées possibles. On souhaiterait aussi voir les investisseurs marocains lever des fonds dans les marchés financiers africains à travers des émissions obligataires par exemple. Mais aussi des investisseurs d’autres pays d’Afrique placer des fonds ou lever des capitaux au Maroc. A mon avis, une stratégie pour l’émission de titre dans les deux marchés et à travers le continent là où les opportunités se présentent est une voie pour promouvoir les instruments de trading.
Quelle proposition pourriez-cous faire dans ce cadre ?
Une proposition qui pourrait être intéressante serait que les décideurs marocains émettent une obligation sur les infrastructures (infrastructure bond) qui serait cotée à la place casablancaise. L’investissement sur ce titre (obligation) émanerait de plusieurs pays en plus du Maroc. Celle-ci servirait à couvrir une grande partie du besoin en infrastructures dans plusieurs régions d’Afrique. Ce sont là des idées pour accompagner le développement du continent, et qui profiterait à tous ses pays, principalement au Maroc qui se positionnerait comme partenaire financier dans ce type de projet.
En termes de priorité, quels sont les secteurs qui requièrent des financements urgents à travers le continent ?
La priorité est donnée aux infrastructures pour plusieurs raisons : l’amélioration de la qualité de vie des citoyens (circulation, accès aux services de base), l’attractivité aux investisseurs et la transformation du climat des affaires. Ce secteur requiert près de 93 milliards de dollars par an dont seule la moitié a pu être financée à ce jour. C’est donc un fort besoin en financement qui doit pouvoir être comblé. D’autres secteurs tels l’agro-industrie, la production manufacturière et les services. Des solutions doivent être trouvées pour dynamiser le capital risque. A ce stade, sa proportion dans le financement de projets demeure encore faible alors qu’il permet de rendre ces derniers bancables.
Tous ces projets figurent dans la stratégie décennale que la BAD a mis en place sur la période 2013-2022, quels en sont les objectifs ?
La Banque a lancé cette stratégie pour encourager une croissance inclusive d’une part et d’accompagner les pays désirant passer à une économie verte d’une autre part. Le Maroc en est d’ailleurs un exemple et nous appuyons d’ailleurs son Plan Maroc Vert, entre autres projets. En plus des infrastructures, cette stratégie vise le développement du secteur privé en tant que partenaire du secteur public, la promotion de l’intégration régionale, l’éducation et la formation professionnelle en plus de la technologie. Nous tenons aussi, à travers cette stratégie décennale, à nous assurer que les Etats fragiles reçoivent le type d’aide dont ils ont besoin, dans le but de les sortir de cette fragilité justement. La promotion de l’égalité des sexes figure aussi parmi ses points essentiels. Donc, cette stratégie est plutôt robuste, compte tenu des interventions qu’elle vise.
Vous avez cité l’accent à mettre sur la technologie et l’innovation étroitement liées au niveau d’éducation. Ce but est-il atteignable alors que plusieurs pays d’Afrique connaissent des taux d’analphabétisme élevés ?
En fait, l’Afrique a besoin des deux. Et puis certains pays ont déjà lancé des projets innovants et technologiques tel que Safaricom (Kenya) qui a mis en place le principe du mobile-banking par « M-Pesa ». Ces pays lancés dans l’innovation, on ne peut les arrêter, le mieux qu’on puisse faire c’est de les accompagner et les soutenir. Ceci étant, il faut investir davantage dans l’enseignement fondamental et inciter ceux qui ont abandonné l’école à reprendre les études. Malheureusement, près de 41% des enfants africains supposés aller à l’école, n’y vont pas. C’est un taux très élevé. Donc effectivement, il faut faire en sorte que ces enfants reviennent vers les établissements scolaires et se forment. Et ceux qui se sont déjà lancés dans l’innovation, tels le Kenya, le Nigeria ou le Ghana, nécessitent notre appui pour le développement de leurs projets en technologie de points, les TIC et la programmation. L’Afrique possède déjà les deux et ceux qui sont encore en retard rejoindront ceux qui sont en avance et leur population jeune ne trouvera plus d’excuse quant à la recherche d’emploi.
Quels sont les projets à venir dans le domaine des énergies renouvelables ?
Parmi nos projets de développement durable, une part importante est allouée aux énergies renouvelables. Nous comptons accompagner des projets d’énergies solaire, hydroélectrique. Egalement dans l’éolien particulièrement en Afrique de l’est, au nord du Kenya. Nous avons accompagné un important investissement au Maroc et nous avons des projets dans d’autres pays, comme un par éolien au Cap Vert. Nous souhaitons d’ailleurs investir davantage dans ce pays. Donc en somme, nous accordons une attention particulière au développement des énergies propres à travers le reste du continent et ce afin de réduire la dépendance énergétique.
Pour mieux connaître M. Ncube, cliquez ici