Turquie: Erdogan reçoit des “représentants” de la contestation
La place Taksim d'Istanbul a retrouvé mercredi un semblant de calme après les violences de la veille entre la police et les manifestants.
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AFP
Le 12 juin 2013 à 16h59
Modifié 12 juin 2013 à 16h59La place Taksim d'Istanbul a retrouvé mercredi un semblant de calme après les violences de la veille entre la police et les manifestants.
Alors qu'une rencontre déjà jugée factice entre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et des «représentants» de la contestation se tient à Ankara, M. Erdogan a accueilli les 11 membres de la délégation, composée principalement d'artistes, d'universitaires et d'architectes, au siège de son Parti de la justice et du développement (AKP). Solidarité Taksim, la plateforme de 116 partis et associations qui anime le mouvement pour la préservation du parc Gezi à Istanbul, menacé par un projet d'aménagement urbain et d'où est partie la contestation, a dénoncé mercredi cette réunion à laquelle elle n'a pas été conviée. Au matin du treizième jour de la fronde contre le chef du gouvernement, la célèbre place de la mégapole turque était étroitement contrôlée par les forces de l'ordre, disposées derrière des canons à eau devant chacune des rues environnantes. Drapeaux, banderoles, barricades, voitures brûlées, pavés, cartouches de gaz lacrymogènes, tous les signes extérieurs de la contestation et des affrontements intenses qui s'y sont déroulés jusqu'au petit matin ont été soigneusement effacés. Les forces de sécurité ont repris mardi matin à la surprise générale la place Taksim, cédée le 1er juin aux manifestants qui en ont fait le bastion de leur mouvement. De violentes échauffourées y ont opposé pendant près de vingt heures la police à des groupes de jeunes casqués et armés de pierres et de cocktails Molotov.
Selon une infirmière bénévole, quelque 500 personnes ont été soignées mardi dans les centres de soin de fortune ouvert aux manifestants autour de la place. En lisière de la place, seul le parc Gezi, dont la destruction annoncée a donné le signal de la révolte le 31 mai, narguait encore mercredi la police. Nombre de ses occupants ont abandonné leurs tentes à la pluie, par peur d'une évacuation de la police. Mais quelques centaines d'irréductibles y ont passé une nouvelle nuit inconfortable, résolues à protéger «leur» parc et ses 600 arbres. «Nous n'avons pas peur», a assuré à l'AFP Anessa, une photographe de 29 ans qui campe dans le camp. «Nous ne nous arrêterons pas». Dans la capitale Ankara, la police est également intervenue tard mardi soir pour disperser un groupe de quelque 5.000 personnes qui scandait «Tayyip, démission!».Mercredi matin, la police tentait d'obtenir l'évacuation en douceur de plusieurs dizaines de manifestants toujours retranchés dans le parc Kugulu, dans le centre de la capitale. Des milliers d'avocats -dont près de 3.000 à Ankara- ont manifesté mercredi à travers la Turquie pour dénoncer la brève arrestation, la veille à Istanbul, de 73 de leurs confrères.
Accueil d’une délégation, qualifiée de «poudre aux yeux»
Au lendemain de sa démonstration de force, M. Erdogan reçoit une délégation d'une vingtaine de «représentants» (ONG, société civile, experts, artistes...) de la contestation. La délégation a ensuite été réduite à une dizaine de personnes. Mais leur liste, approuvée par les autorités, est dénoncée par les manifestants, qui ne voient dans ce rendez-vous que de la poudre aux yeux. «Aucun membre de Solidarité Taksim n'a été invité et ne participera aux entretiens», a affirmé le groupe mercredi dans un communiqué. «Ces rencontres n'auront aucun résultat tant que la police continuera d'utiliser une violence impitoyable niant le droit à la vie au parc Gezi et dans ses alentours», a-t-il poursuivi.
D'autres invités, comme Greenpeace, ont décliné pour dénoncer l'opération de la police mardi et l'intransigeance du Premier ministre. Devant les députés de son Parti de la justice et de la démocratie (AKP, issu de la mouvance islamiste), M. Erdogan a une nouvelle fois dénoncé les «extrémistes» ou les «pillards» qui le défient. «Cette affaire est maintenant terminée. Nous ne ferons plus preuve de tolérance», a-t-il martelé. Sûr du soutien d'une majorité de Turcs, le chef du gouvernement a adopté un ton très ferme depuis le début de la crise. Lors des législatives de 2011, l'AKP avait recueilli près de 50% des suffrages. Le chef du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu a appelé le président Abdullah Gül, réputé plus modéré que son Premier ministre, à réunir tous les partis pour tenter de sortir de la crise. Le chef de l'Etat a estimé que «cela n'apporterait pas grand-chose». «Il faut faire baisser la tension», a plaidé M. Kiliçdaroglu, appelant M. Erdogan à ne pas tenir ses deux grandes réunions publiques prévues ce week-end à Ankara puis Istanbul.
Sa fermeté et le coup de force de mardi ont encore valu à M. Erdogan de nombreuses critiques dans le monde. Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a préconisé «l'apaisement et la retenue» et son homologue allemand Guido Westerwelle a qualifié l'intervention de la police de «mauvais signal». Quant à leur collègue italienne Emma Bonino, elle a considéré l'attitude d'Ankara vis-à-vis des manifestants comme son «premier test sérieux» sur la route d'une adhésion à l'Union européenne. Selon le dernier bilan publié mardi par le syndicat des médecins turcs, la vague de protestation qui agite la Turquie a fait quatre morts, trois manifestants et un policier, et près de 5.000 autres ont été blessées, dont plusieurs dizaines grièvement.