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Dossier Cet article est issu du dossier «Agriculture : Souveraineté et durabilité deux enjeux conciliables ?» Voir le dossier

AGRICULTURE Phytosanitaires. Quelles alternatives à leur usage? (2/2)

(C) Dr. Rachid Bouharroud.

Le 30 avril 2023 à 10h15

Modifié 30 avril 2023 à 10h15

SPECIAL SIAM. Dans cette seconde partie consacrée aux produits phytosanitaires, il sera question d’explorer les alternatives durables à leur usage, déployées au Maroc depuis plusieurs décennies, avec le Dr Rachid Bouharroud, chef de service recherche et développement au Centre régional de la recherche agronomique d’Agadir à l’INRA.

Si l’agriculture biologique, contrairement à celle conventionnelle, s’interdit l’usage des produits phytosanitaires, il est communément admis qu’elle ne peut pas nourrir tout le monde à l’heure qu’il est. En plus, les ménages ne cherchent pas, tous, nécessairement à changer radicalement leur mode de consommation.

La recherche scientifique propose alors, depuis plusieurs décennies, des alternatives aux pesticides chimiques de synthèse. Une des évolutions les plus réussies en la matière est la "lutte intégrée contre les ravageurs", souvent représentée par ses initiales en anglais IPM en référence à Integrated Pest Management.

Le Dr Rachid Bouharroud, expert en IPM et chef de service recherche et développement au Centre régional de la recherche agronomique d’Agadir, à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), nous propose cette définition : "La lutte intégrée ou IPM (Integrated Pest Management), qui est une stratégie, est une approche durable de la gestion des ravageurs qui combine les outils biologiques, culturaux, physiques et chimiques d’une manière qui minimise les risques économiques, environnementaux et de santé humaine."

La lutte intégrée contre les ravageurs permet ainsi de passer d’un système réactif, dont le but est le traitement, à une approche active et préventive. L’IPM ne rejette pas systématiquement les pesticides. Il préconise d’en faire usage en dernier ressort de façon sélective et avec modération. Il est à préciser que cette approche peut être considérée comme se situant à mi-chemin entre l’usage en premier lieu des pesticides et leur rejet catégorique.

Ennemi naturel

"Pour la lutte biologique par exemple, des recherches ont pu mettre en évidence l’importance des ennemis naturels. À titre d’illustration, lorsque la mineuse de la tomate (Tuta absoluta) a été introduite au Maroc en 2008, les pesticides n’ont pas réussi à la maîtriser d’une façon durable. D’une part, les exportateurs de tomates se sont retrouvés bloqués parce qu’ils ne pouvaient pas exporter des tomates avec des résidus de pesticides – cahier des charges importateur UE et autres – et, d’autre part, il y avait un risque de résistance de ce ravageur aux pesticides comme c’était le cas auparavant pour la mouche blanche (Bemisia tabaci) au début des années 2000.

"Actuellement, la punaise Nesidiocoris tenuis est très utilisée comme prédateur de Tuta absoluta (mineuse de la tomate) et Bemisia tabaci (mouche blanche). Mais cette approche nécessite un suivi de près des cultures de tomates sous serre. Parce que quand la proie elle-même est indisponible, cette punaise s’attaque à la tomate", nous explique le Dr Rachid Bouharroud.

Selon le chercheur, d’autres prédateurs et parasitoïdes sont utilisés actuellement pour contrôler les ravageurs. Plusieurs sociétés qui produisent ces ennemis naturels sont installées au Maroc, surtout dans le Souss. Les coccinelles sont également utilisées. Aphytis melinus fut, par ailleurs, la première guêpe utilisée en culture des agrumes au Maroc pour la lutte contre le pou de Californie dans les années 1920.

Les pièges, les moustiquaires

En plus de la lutte biologique, les agriculteurs peuvent recourir à l’utilisation des pièges pour protéger leur cultures. C’est le cas des pièges appelés "Attract and Kill" ("Attirer et tuer"), qui utilisent une phéromone sexuelle qui attire le mâle qui sera ensuite tué par l’insecticide dans le piège. Il y a également les appâts alimentaires comme l’hydrolysat de protéine qui attire les femelles de la cératite – la mouche méditerranéenne des fruits – par exemple. Ces femelles ont besoin de ces protéines pour la ponte.

La "lutte physique", elle, est considérée comme le moyen le plus simple d’exclure les ravageurs des cultures. "Le contrôle physique à l’aide de moustiquaires n’est devenu nécessaire qu’après l’introduction du virus Tomato Yellow Leaf Curl Virus, TYLC, en 1998 (Bouharroud, 2007). Les moustiquaires anti-UV avec des mailles spéciales sont fréquemment utilisées au Maroc dans les cultures protégées. Les moustiquaires ont considérablement réduit les applications de pesticides puisque les producteurs n’ont pas eu à pulvériser pour lutter contre les ravageurs.

"Pour les cultures biologiques, l’utilisation de ces filets empêche la migration des ennemis naturels, généralement relâchés pour lutter contre les ravageurs (Hanafi et al., 2007)", peut-on lire dans un chapitre dédiée à la lutte intégrée contre les ravageurs au Maroc, dans le livre scientifique Biopesticides in Organic Farming, publié en 2021 aux éditions CRC Press. Notre interlocuteur, Rachid Bouharroud, est l’un des co-auteurs de ce chapitre.

Un bilan en demi-teinte

Les pratiques culturales, comme le choix de la date de plantation, la rotation des cultures quand c’est possible ou encore le désherbage, font également partie de la lutte intégrée des ravageurs. S’y ajoute aussi l’utilisation des biopesticides d’origine tels que les plantes, les bactéries, les champignons ou encore les virus.

Quant au bilan de l’usage de la lutte intégrée contre les ravageurs au Maroc, les rédacteurs du livre Biopesticides in Organic Farming estiment que "dans les circonstances marocaines, bien que des efforts substantiels aient été faits pour mettre en œuvre l’IPM (lutte intégrée, ndlr), les pesticides continuent d’être principalement utilisés en raison de leur facilité d’utilisation et de leur rapidité d'action. La méthode est facile à comprendre. Elle est efficace (au moins à court terme), réduit les coûts de main-d’œuvre et est considérée comme une pratique que l’agriculteur peut contrôler et décider indépendamment des fournisseurs, conseillers ou agents de vulgarisation".

Et de poursuivre : "Ce constat est d’autant plus perceptible après l’introduction de nouveaux ravageurs générant des réactions de panique qui entraînent à leur tour de vastes programmes de lutte chimique, ce qui bouleverse les programmes IPM en cours. L’introduction du virus TYLC en 1998 et de T. absoluta en 2008 et leur impact sur le besoin accru d’applications de pesticides en sont deux exemples considérables."

Un challenge: concilier durabilité et rendement des cultures

Ce qui est certain, c’est que dans l’agriculture, comme dans les autres secteurs, le Maroc affiche clairement ses ambitions en matière de durabilité. La thématique du SIAM de cette année est d’ailleurs "Génération Green : Pour une souveraineté alimentaire durable".

Mais peut-on réellement concilier durabilité et usage des phytosanitaires, surtout quand on a également pour objectif d’augmenter le rendement des cultures ? "C’est un challenge. Et la limite entre les deux (durabilité et usage des pesticides, ndlr) est très instable", admet Rachid Bouharroud, chef de service recherche et développement au Centre régional de la recherche agronomique d’Agadir à l’Inra.

Il ajoute : "Les producteurs agricoles de la région du Souss parviennent relativement à garder cette stabilité en adoptant dans la majorité des cas la stratégie de lutte intégrée contre les ravageurs. Ils ont tiré les leçons du passé, depuis la fin des années 1990, après la première introduction du virus du Tomato Yellow Leaf Curl Virus. Cela les a poussés à bien maîtriser leurs cultures s’ils voulaient être en mesure de réaliser un bon rendement avec une qualité export. La réglementation du marché local figure parmi les stratégies du plan agricole Génération Green. Cela permettra d’instaurer une traçabilité des productions agricoles, et par conséquent la réduction des pesticides, et d’éviter les applications chimiques non justifiées."

Changement climatique : "Une épreuve hors du commun pour la communauté phytosanitaire"

Si la durabilité est devenue aujourd’hui le mantra des décideurs dans tous les secteurs, c’est parce que les répercussions des changements climatiques ne sont plus uniquement des projections lointaines, mais une réalité vécue par certains pays plus que d’autres. Le réchauffement de la planète devrait rendre l’objectif de la protection des cultures contre les organismes nuisibles encore plus difficile à atteindre lors des années à venir.

C’est ainsi que dans son "Examen scientifique des effets des changements climatiques sur les organismes nuisibles aux végétaux", publié en 2021, la FAO confirme que "les changements climatiques affecteront les écosystèmes et les systèmes de production agricole dans le monde entier. Ils auront un impact sur les flux commerciaux internationaux de produits agricoles, et influeront également sur le pouvoir infectieux, la gravité et la répartition des organismes nuisibles à travers le monde. Les changements climatiques constitueront, en particulier, une épreuve hors du commun pour la communauté phytosanitaire mondiale et sa capacité à proposer des solutions efficaces et coordonnées, fondées sur des données scientifiques"

Pour la FAO, de nombreuses lacunes en matière de recherche doivent être comblées dans ce domaine. Il est ainsi possible, par exemple, que des organismes nuisibles développent une résistance aux produits phytopharmaceutiques si ces derniers sont plus fréquemment utilisés pour faire face à la prévalence accrue des organismes nuisibles due aux changements climatiques. Des travaux de recherche sur cette question seraient donc utiles.

Dilemme

En conclusion de son rapport sur l’impact du changement climatique sur les nuisibles aux végétaux, la FAO recommande entre autres de "modifier les stratégies de protection des végétaux. Et ces ajustements deviendront encore plus indispensables à l’avenir, si les modélisations des changements climatiques réalisées jusqu’à présent devaient se confirmer. Toute lutte climatiquement rationnelle contre les organismes nuisibles implique la mise en œuvre d’approches holistiques dans les exploitations agricoles et les paysages, et repose essentiellement sur l’utilisation de méthodes de lutte existantes en vue d’améliorer l’atténuation et de renforcer la résilience".

Chez les insectes, le changement climatique est ressenti essentiellement au niveau biologique à travers l’augmentation de la température. Leur cycle de vie est ainsi changé. "Pour ces insectes, la durée de ce cycle d’une façon générale est réduite après augmentation des températures. Et si le cycle est réduit, le risque de résistance aux pesticides est très fréquent. Les changements climatiques ont un effet également sur la résurgence de certains ravageurs; qui n’étaient pas considérés comme des ravageurs d’importance économique auparavant. De nouveaux ravageurs peuvent aussi s’installer après introduction vu que les conditions climatiques deviennent favorables", alerte Dr Rachid Bouharroud, expert en entomologie.

Demeure alors une question essentielle : le réchauffement climatique devrait-il pousser l’agriculture à intensifier le recours aux pesticides pour mieux faire face aux ravageurs, ou en diminuer les doses pour concrétiser les objectifs de la durabilité ?

Comprendre les phytosanitaires, les utiliser, s’en protéger (1/2)

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