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Le Niger serait-il le théâtre d’une nouvelle guerre au Sahel ?

INTERVIEW. Expert en géopolitique du Sahel, Lemine Ould Mohamed Salem nous livre son analyse de la situation au Niger et son impact sur la région. Pour lui, ce territoire objet d’une guerre d’influence entre l’Occident et la Russie pourrait être le théâtre d’une intervention militaire menée par les Africains. Une intervention française serait en revanche suicidaire, selon lui.

Lemine Ould Mohamed Salem.

Le Niger serait-il le théâtre d’une nouvelle guerre au Sahel ?

Le 3 août 2023 à 10h28

Modifié le 3 août 2023 à 10h28

INTERVIEW. Expert en géopolitique du Sahel, Lemine Ould Mohamed Salem nous livre son analyse de la situation au Niger et son impact sur la région. Pour lui, ce territoire objet d’une guerre d’influence entre l’Occident et la Russie pourrait être le théâtre d’une intervention militaire menée par les Africains. Une intervention française serait en revanche suicidaire, selon lui.

Ecrivain, réalisateur et journaliste mauritanien, Lemine Ould Mohamed Salem est considéré comme un des meilleurs experts du Sahel. Il couvre, depuis Paris où il est basé, l’actualité de la région pour plusieurs médias européens, et est l’auteur de plusieurs livres et documentaires sur le jihad et la montée du salafisme au sud du Sahara et dans le monde musulman, tels que Le Ben Laden du Sahara, un livre enquête publié en 2014 aux éditions La Martinière, sur Mokhtar Belmokhtar, l’émir local de la branche saharienne d’Al Qaida, et L’histoire secrète du Djihad, livre paru en 2018 chez Flammarion, tiré de plusieurs mois d’entretien avec le bras droit de Ben Laden. Il est également le réalisateur de Salafistes, film documentaire sur les djihadistes tourné pendant trois ans au Mali, en Mauritanie, en Tunisie, en Syrie et en Irak.

Dans cet entretien, il nous livre sa lecture du putsch militaire qui a eu lieu au Niger dans la soirée du jeudi 27 juillet. Un nouveau coup d’Etat militaire, mené par la garde présidentielle du président élu Mohamed Bazoum, avec à sa tête le Général Tchiani, dans un pays jusqu’alors considéré comme stable politiquement, et surtout comme le partenaire de choix des Occidentaux − la France en particulier − dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel.

Depuis, les évènements se sont vite enchaînés, ajoutant une couche supplémentaire à la tension qui émaille déjà la région : condamnations internationales du coup d’Etat ; réunion d’urgence de la Cédéao, dont le Niger est membre, et lors de laquelle celle-ci a appelé le Général Tchiani à rendre le pouvoir au président élu au risque d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre ; la convocation, le week-end dernier par le président français Emmanuel Macron, d’un Conseil de défense pour évaluer la situation sur place ; l’évacuation par les forces françaises des ressortissants français et européens du Niger ; la déclaration d’une alliance entre les pouvoirs militaires au Mali et au Burkina Faso, qui ont annoncé que toute intervention militaire contre le Niger serait considérée comme une déclaration de guerre contre eux également… Bref, tout laisse à penser que l’on n’est pas loin d’une intervention militaire qui risque d’embraser la région, sur fond d’une guerre par procuration entre Occidentaux et Russes.

Ce risque est-il réel ? Quels sont les acteurs qui pourraient intervenir ? Quelles seraient les conséquences d’une nouvelle intervention militaire sur la région ? Quel rôle le Maroc peut-il jouer ? Les réponses de notre expert.

Médias24 : Le coup d’Etat militaire au Niger contre le président élu, Mohamed Bazoum, a provoqué une série de réactions des partenaires du pays. Hormis les militaires au pouvoir au Mali et au Burkina Faso, le putsch a été condamné par tous. La France, dont plus d’un millier de militaires sont stationnés au Niger dans le cadre de la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel, a tenu un Conseil national de sécurité, puis entrepris d’évacuer ses ressortissants du Niger. L’organisation régionale, la Cédéao, a pris des sanctions diverses et envisage même une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel. Une opération militaire contre les putschistes est-elle à prendre au sérieux ?

Lemine Ould Mohamed Salem : Les partenaires étrangers du Niger préfèrent sans doute ne pas en arriver à ce stade. Mais ils semblent contraints d’agir si le général Abdourrahmane Tchani, le chef de la garde présidentielle qui dirige les putschistes de Niamey, ne renonce pas à son coup d’Etat.

La Cédéao, qui est en quelque sorte le mandataire régional des partenaires du Niger, ne peut pas reproduire les erreurs commises au lendemain des putschs au Mali, au Burkina et en Guinée. Ses hésitations et son manque de fermeté avaient permis aux putschistes, dans ces trois pays, de jouer les prolongations et de mener les transitions comme bon leur a semblé.

Au Niger, la Cédéao joue ce qui lui reste de crédibilité, d’autant qu’il s’agit du pays dont le président a été élu et qui ne connaissait pas de crise politique majeure.

- Pensez-vous que la Cédéao ait les moyens d’effectuer une intervention militaire efficace ?

- Si la Cédéao intervient au Niger, ce ne sera pas la première fois qu’une telle situation surviendrait dans un pays membre. L’organisation ouest-africaine a déjà mené plusieurs opérations militaires pour mettre fin à des crises politiques internes, notamment en Gambie, au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau.

- Peut-on envisager une coordination entre la Cédéao, la France et les Etats-Unis, deux puissances présentes sur place avec des bases militaires et des soldats ?

- C’est évident. Si elle intervient au Niger, la Cédéao le fera en étroite collaboration avec l’Union africaine (UA), l’Union européenne, la France et les Etats-Unis d’Amérique, qui sont aux premiers rangs des partenaires du Niger et hostiles au renversement du président Mohamed Bazoum. Ces puissances étrangères, dont certaines disposent d’une présence militaire au Niger, pourraient notamment apporter aux contingents de la Cédéao des appuis techniques et logistiques : mise à disposition de satellites de renseignements, drones, avions de transport de troupes et de combats, etc.

- Comment qualifiez-vous la réaction des pouvoirs militaires au Mali et au Burkina, qui se sont empressés de déclarer que toute attaque contre les putschistes du Niger serait perçue comme une déclaration de guerre contre leurs propres pays ? Cela ne risque-t-il pas d’embraser toute la région ?

- Le Burkina et le Mali sont gouvernés par deux régimes issus de coups d’Etat et qui sont eux-mêmes confrontés à des problèmes sécuritaires graves et complexes. Comment est-ce qu’ils pourraient mobiliser des soldats ou des moyens militaires à l’extérieur de leurs pays ? Ça relève, à mon avis, beaucoup plus de la rhétorique politicienne que de l’intention réelle.

- Est-il possible que la main de la Russie et de sa milice Wagner soit derrière tout cela ? Assiste-t-on à une sorte de guerre par procuration entre la Russie et l’Occident dans cette zone du Sahel ?

- Le Sahel comme d’autres régions d’Afrique est devenu une terre de rivalité entre les Occidentaux et les Russes. Mais il semble très difficile de croire aujourd’hui que la Russie soit derrière le coup d’Etat du général Tchiani au Niger.

S’il est acculé ou mis sous forte pression par la Cédéao et ses alliés, il n’est pas à exclure, cependant, que ce dernier finisse par chercher un appui extérieur, notamment en Russie. C’est la puissance la mieux placée aujourd’hui pour faire alliance avec ce genre de régime, même si cela pourrait passer par le recours aux miliciens de Wagner, la compagnie militaire privée russe qui est déjà en activité dans certains pays africains comme le Mali voisin.

Des signes déjà visibles rendent cette hypothèse assez probable. Comme lors du coup d’Etat du capitaine Ibrahim Traoré survenu l’année dernière au Burkina Faso, on observe depuis les premières heures du putsch de Niamey une suractivité sur les réseaux sociaux de comptes − en grande partie présumé faux − qui défendent le renversement de Bazoum et appellent la Russie au secours du coup d’Etat au Niger, empruntant également la rhétorique panafricaniste, anti-française et plus généralement anti-occidentale, comme cela est visible autour du Mali et du Burkina, deux pays ayant mis fin à toute présence militaire française sur leurs territoires.

- Le Maroc a-t-il un rôle à jouer dans tout cela ?

- Le Maroc n’est ni membre de la Cédéao, ni du G5 Sahel. Ce qui lui ôte un statut d’acteur régional qui doit obligatoirement s’impliquer.

En revanche, Rabat a des intérêts économiques, politiques et stratégiques au Niger et dans la région. Les Marocains ne peuvent donc pas être indifférents à ce qui se passe au Niger.

S’il est sollicité par la Cédéao, un espace politique et économique auquel il est lié par des intérêts divers, le Maroc jouera naturellement le rôle qui lui est demandé. Mais l’organisation ouest-africaine comprend en son sein des pays qui pourraient ne pas être enthousiastes à l’idée de voir Rabat impliquée dans une crise comme celle du Niger. Ça pourrait être le cas du Nigéria. Ce géant politique et économique de la Cédéao est très proche politiquement de l’Algérie, qu’il soutient dans l’affaire du Sahara qui l’oppose au Maroc via le Front Polisario.

- L’Algérie voit depuis quelques années des pouvoirs frontaliers s’effondrer l’un après l’autre. Comment pourrait-elle réagir dans le cas du Niger ?

- Le Niger et l’Algérie sont très proches. Ce sont des pays voisins ; il y a une continuité humaine entre les populations frontalières des deux pays. Il y a aussi beaucoup d’intérêts communs entre les deux Etats.

L’Algérie suit évidemment de très près ce qui se passe chez son voisin du sud-est. Elle a condamné le coup d’Etat tout en mettant en garde contre les conséquences d’une intervention militaire étrangères au Niger. Mais vu la tradition algérienne vis-à-vis des pays frontaliers, il est peu probable qu’elle aille plus loin.

- Est-ce que l’Algérie pourrait cautionner une intervention militaire française au Niger ?

- Le gouvernement algérien a déjà exprimé ses réserves sur une éventuelle intervention militaire étrangère au Niger.

Quant à la France, après le retrait contraint de ses soldats du Mali et du Burkina après dix ans de présence dans ces pays, et dans un contexte où partout en Afrique se développe un sentiment hostile vis-à-vis de Paris que résument les slogans aujourd’hui affichés dans plusieurs pays africains, comme "France dégage", il devient impensable de voir les autorités françaises envoyer une nouvelle fois leur armée dans un pays africain.

- Une intervention militaire française est à écarter ?

- La France pourrait appuyer la Cédéao avec des conseillers militaires, du renseignement, du matériel de combat, etc. Mais elle ne pourrait plus intervenir physiquement dans un pays africain, à moins qu’elle soit suicidaire.

Une telle intervention ne sera pas acceptée par les opinions africaines et ne servirait qu’à conforter les sentiments anti-français en Afrique. Au Niger, même ceux qui sont contre le putsch finiraient alors par se rallier aux militaires.

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