Offre de travail. Comment les aides sociales redessinent le marché des emplois précaires
Le système d'aides sociales, conçu pour soutenir les ménages précaires, semble avoir des effets secondaires sur l'offre de travail en milieu rural. Les travailleurs, en particulier les femmes en milieu rural, sont confrontés à des choix difficiles entre déclarer leur activité ou préserver leur accès aux subventions, voire arrêter de travailler et se contenter du montant de l'aide sociale. Ce phénomène, exacerbé par des conditions de travail précaires et la prédominance de l'économie informelle, pose un défi complexe au marché de l'emploi marocain.
Offre de travail. Comment les aides sociales redessinent le marché des emplois précaires
Partager :
-
Pour ajouter l'article à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecterL'article a été ajouté à vos favoris -
Pour accéder à vos favorisS'inscrire gratuitement
identifiez-vousVous possédez déjà un compte ?
Se connecter
Badr Elhamzaoui
Le 14 octobre 2024 à 11h58
Modifié 15 octobre 2024 à 9h39Le système d'aides sociales, conçu pour soutenir les ménages précaires, semble avoir des effets secondaires sur l'offre de travail en milieu rural. Les travailleurs, en particulier les femmes en milieu rural, sont confrontés à des choix difficiles entre déclarer leur activité ou préserver leur accès aux subventions, voire arrêter de travailler et se contenter du montant de l'aide sociale. Ce phénomène, exacerbé par des conditions de travail précaires et la prédominance de l'économie informelle, pose un défi complexe au marché de l'emploi marocain.
Depuis l'instauration du système des aides sociales directes aux familles vulnérables, des acteurs du marché observent une baisse de l'offre de travail en milieu rural, en particulier chez les femmes.
Ce constat est tout à fait compréhensible, car l'emploi en milieu rural est largement de nature saisonnière. Ainsi, pour les bénéficiaires des aides sociales directes, accepter un emploi formel faiblement rémunéré ou de courte durée, deux ou trois mois par exemple, les expose au risque de perdre ces aides. Bien que ces subventions puissent paraître insuffisantes, elles offrent une certaine stabilité financière à long terme.
Deux scénarios sont rapportés par des témoins directs:
-D'une part, certains travailleurs optent pour des emplois informels, exacerbant ainsi un problème déjà profondément enraciné au Maroc, dans le but de compléter leurs revenus.
-D'autre part, certains choisissent de ne pas travailler de façon permanente ou adaptent leur activité à un rythme plus modéré. Cette situation entraîne une pénurie de main-d'œuvre, particulièrement lors des périodes de pic d'activité, notamment dans le secteur agricole, ce qui provoque une inflation des rémunérations.
Impact des aides sociales sur l'emploi rural : témoignages d'acteurs du marché
Dans ce contexte, approché par Médias24, Jaouad Hamada, président de la coopérative "Dayaâti" pour la production et la promotion des produits agricoles dans la région d'Aït Ayach, province de Midelt, nous décrit la situation au sein de sa structure.
Selon lui, les aides sociales ont influencé le comportement des travailleurs, notamment celui des femmes. "L'activité des femmes et des hommes a connu une baisse. Ainsi, de nombreux travailleurs refusent de se faire déclarer à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), particulièrement les femmes, afin de dissimuler leur activité et ainsi de continuer à percevoir les aides sociales. Cette pratique, bien que non conforme à la législation, limite leur accès à des opportunités d'emploi, notamment au sein des coopératives", explique Jaouad Hamada.
"La principale explication réside dans le caractère saisonnier du travail agricole. Ces travailleurs effectuent un arbitrage : s'ils sont déclarés pour trois mois de travail, ils risquent de perdre les aides sociales qu'ils perçoivent comme acquises de manière permanente. C'est là que se situe le cœur du problème", résume notre source.
De même, un responsable d'une coopérative de la région d'Imilchil observe une diminution significative de l'offre de travail locale. "La majorité des habitants ici mènent une vie modeste et travaillent de manière saisonnière pour répondre à leurs besoins essentiels, dont le montant moyen équivaut désormais aux aides qu'ils reçoivent. En conséquence, ils ne sont plus contraints de travailler avec la même intensité, puisqu'ils savent qu'ils percevront les 6.000 dirhams annuels. Ils adaptent donc leur rythme de travail. Cela a entraîné une diminution de l'offre de travail et une augmentation des rémunérations des travailleurs journaliers, particulièrement dans les régions où la demande de main-d'œuvre pour la récolte des olives est actuellement élevée. Ainsi, les travailleurs exigent désormais des rémunérations à des niveaux sans précédent pour leurs services".
Les conditions de travail : un autre facteur clé
Pour Sabah Chraïbi, présidente de l’association Espace point de départ (ESPOD), la baisse de l’offre de travail des femmes, bien qu'elle puisse s'expliquer en partie par l’arbitrage entre l'instabilité de l’emploi et les aides sociales – perçues comme plus sécurisantes par les ménages –, ne saurait entièrement justifier cette diminution.
"La baisse de l’offre de travail des femmes est certes partiellement attribuable aux aides sociales, mais les conditions de travail jouent également un rôle déterminant dans cette situation. Il est impératif que les communes, notamment en milieu rural, aillent au-delà de leur simple rôle administratif pour adopter une approche plus sociale, en surveillant et en améliorant les conditions de travail, notamment pour les femmes", souligne Sabah Chraïbi.
Si une femme reçoit 500 dirhams en restant chez elle, cela peut sembler un choix rationnel
"Dans le cadre de nos activités, nous avons été témoins d'exemples de femmes à Casablanca qui doivent se rendre dans des usines pour travailler. Elles se lèvent très tôt et, en raison de l'absence de moyens de transport adéquats entre leur domicile et les usines, sont obligées d'emprunter des triporteurs. Une fois sur place, les conditions de travail sont souvent déplorables, et les salaires sont dérisoires. Dans ces circonstances, si une femme reçoit 500 dirhams pour rester chez elle, cela peut sembler un choix rationnel, non pas par désir de quitter son emploi pour toucher 500 dirhams, mais à cause des conditions de travail difficiles", conclut notre interlocutrice.
-oOo-
La prépondérance des emplois précaires, caractérisés par des contrats temporaires, des salaires bas, l'absence de protection sociale et des conditions de travail difficiles, pousse certains à quitter définitivement leur emploi, considérant que les aides sociales offrent une sécurité financière minimale qui compense les incertitudes et la précarité de leur situation professionnelle.
Aussi, le problème de l'informel complique davantage la dynamique du marché du travail. De nombreux travailleurs faiblement rémunérés préfèrent continuer à évoluer dans le secteur informel tout en se déclarant au chômage afin de conserver leur accès aux allocations. Ce phénomène illustre comment les aides sociales redessinent le marché de l'emploi, en encourageant indirectement un basculement vers des stratégies de survie économique plutôt qu'une participation active et déclarée au marché du travail.
Pour remédier à cette situation, il est essentiel de renforcer le contrôle des conditions de travail et des déclarations d'emploi. Il faut veiller à offrir de bonnes conditions d'emploi, garantissant aux employés une sécurité et des avantages sociaux adéquats, afin de les inciter à travailler dans le secteur formel.
Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!