Effectifs en chute, production en baisse : les solutions pour sauver la filière laitière
Depuis la pandémie du Covid-19, la filière laitière fait face à de nombreuses contraintes. Comment se porte-t-elle à présent ? Quel est l'impact des mesures déjà mises en place par le ministère de tutelle ? Et quelles sont les mesures prévues pour la prochaine campagne agricole ? Le point avec Rachid Khattate, président de la Fédération interprofessionnelle Maroc Lait.

Effectifs en chute, production en baisse : les solutions pour sauver la filière laitière
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Kenza Khatla
Le 17 octobre 2024 à 16h38
Modifié 17 octobre 2024 à 17h36Depuis la pandémie du Covid-19, la filière laitière fait face à de nombreuses contraintes. Comment se porte-t-elle à présent ? Quel est l'impact des mesures déjà mises en place par le ministère de tutelle ? Et quelles sont les mesures prévues pour la prochaine campagne agricole ? Le point avec Rachid Khattate, président de la Fédération interprofessionnelle Maroc Lait.
La crise dans la filière laitière est principalement due à la dégradation du cheptel laitier. Pour sortir le secteur de la crise, de nombreuses mesures ont été mises en œuvre par le ministère de l'Agriculture depuis 2022, et d'autres sont en préparation pour la prochaine campagne agricole.
Dans un entretien accordé à Médias24, Rachid Khattate, président de la Fédération interprofessionnelle Maroc Lait, fait le point sur la filière.
Médias 24 : Comment se porte actuellement la filière laitière ?
Rachid Khattate : À l’instar du secteur agricole national, la filière laitière est confrontée à des défis significatifs depuis plusieurs années. Néanmoins, elle tient le cap pour atteindre les objectifs principaux du plan Green Génération 2030, à savoir l’approvisionnement du marché national, la préservation des emplois, notamment dans le monde rural, et la contribution à atteindre l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire nationale pour le lait.
- Quelles sont aujourd'hui les principales problématiques auxquelles la filière fait face ?
- L’activité laitière a été fortement impactée par le stress hydrique résultant de cinq années successives de sécheresse, et sa situation a été aggravée davantage par les séquelles de la pandémie du Covid-19.
Il y a aussi la décapitalisation du cheptel bovin, la hausse vertigineuse des prix des principaux intrants et, plus récemment, la suspension de l’importation des génisses de l’Europe, surtout d’Allemagne, à la suite d’une nouvelle réglementation plus contraignante sur le transport des animaux.
Sur un plan plus conjoncturel, depuis le mois de Ramadan, la filière est confrontée à un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le lait frais.
La production laitière a baissé de plus de 25%, atteignant moins de 2 milliards de litres par an
- Comment le cheptel laitier a-t-il évolué depuis la crise du Covid en termes d'effectifs et de production ?
- Au cours des quatre dernières années, le cheptel a enregistré une baisse atteignant plus de 30% dans certaines régions du pays.
Cette baisse, conjuguée à celle de la productivité faute d’aliments de bétail en quantité suffisante, s’est traduite par une baisse de la production de plus de 25%, passant de 2,55 milliards de litres par an à moins de 2 milliards de litres.
Certaines régions ont été plus sévèrement impactées par cette baisse, notamment Casablanca-Settat, Béni Mellal-Khénifra, Marrakech-Safi, l'Oriental et Fès-Meknès, où la baisse a dépassé les 50%.
Vers la fabrication de la poudre de lait localement
- Vous avez évoqué il y a quelques instants un déséquilibre entre l’offre et la demande sur le lait frais. Cela signifie-t-il que la consommation est en baisse ?
- Depuis le mois de Ramadan de cette année, la filière souffre de contraintes supplémentaires caractérisées par une baisse notable de la consommation du lait frais, due à la dégradation du pouvoir d'achat.
Face à cette conjoncture, toutes les composantes de Maroc Lait, à savoir l’amont des producteurs et l’aval industriel, ont pris des mesures urgentes afin d’éviter la baisse de production au niveau des fermes.
Les deux principales mesures prises par les usines sont le renforcement des promotions commerciales sur le lait et les produits laitiers, ainsi que le recours massif au séchage du lait collecté pour fabriquer de la poudre de lait.
Le résultat de ces mesures a été la continuité de la collecte de lait auprès des fermiers. Nous avons ainsi pu freiner la baisse de lait collecté par les usines à moins de 5% par rapport à 2023.
- Si l'on revient sur la poudre de lait, le ministère de l'Agriculture a décidé en 2022 de subventionner son importation, notamment pour maintenir les prix du lait sur le marché. Cette subvention est-elle toujours d'actualité ? Comment a-t-elle impacté le secteur depuis sa mise en place ?
- Les discussions et concertations sont en cours avec le ministère de l’Agriculture et les diverses parties prenantes à ce sujet. L’idée est de concevoir un nouveau mécanisme qui, en fonction de l’offre et de la demande du lait, permettrait de diminuer ou d’augmenter les droits de douane sur l’importation de la poudre de lait notamment.
L’objectif est, d’une part, de collecter la totalité du lait produit par les éleveurs et de continuer le développement résilient de l’élevage laitier au Maroc et, d’autre part, d’assurer un approvisionnement régulier du marché en produits laitiers.
- En mai 2023, la Fédération Maroc Lait a signé un contrat-programme de plus de 12 MMDH avec le ministère de l'Agriculture. Où en est l'exécution de ce dernier ?
- Effectivement, le contrat-programme signé avec l’Etat, en marge du Salon international de l'agriculture (SIAM) 2023, porte sur une enveloppe de 12 MMDH pour la période allant de 2023 à 2030, auquel les membres de Maroc Lait participent à hauteur de 9 MMDH, contre 3 MMDH pour l’Etat.
Pour plus d’efficience, l’Etat a opté pour la conversion des engagements dudit contrat-programme en plusieurs conventions spéciales annuelles. Et, depuis 2023, en plus des deux conventions signées lors des SIAM 2023 et 2024, nous avons signé cinq nouvelles conventions, tandis que trois autres sont en cours.
Chaque convention précise les objectifs, un plan d’action et un planning d’application. Les réalisations effectuées à ce jour sont en avance par rapport aux objectifs.
- L'augmentation de la production nationale à 3,5 milliards de litres de lait à l'horizon 2030 est l'un des principaux objectifs de ce contrat-programme qui prévoit également de réduire le niveau de colportage à 10% de la collecte laitière. Quels sont les mécanismes qui seront mis en place avec le ministère de tutelle pour y arriver, d'autant que la production est en baisse ces dernières années ?
- Avec le ministre de l’Agriculture, nous avons établi un plan d’action exhaustif et bien détaillé sur toutes les composantes de la chaîne de valeur de la production laitière.
En ce qui concerne le cheptel laitier, plusieurs chantiers sont en cours comme l’augmentation de la taille du cheptel laitier en freinant la décapitalisation, la subvention des génisses et des velles importées et celles produites localement, la résolution des problèmes d’importation depuis l’Europe, ainsi que l’encouragement de l’investissement dans de nouveaux projets d’exploitations laitières, notamment à destination des jeunes éleveurs afin de passer le relais à la nouvelle génération. Sans oublier la reprise intensive du programme de l’insémination artificielle.
Sur le volet de l’amélioration de la productivité et de l’efficience des élevages laitiers, nous avons mis en place des programmes pour l’augmentation de la productivité par l’amélioration génétique, un meilleur plan fourrager, la formation, la mise à niveau des étables et des centres de collecte…
Pour ce qui est du colportage, qui présente un risque sanitaire pour la population, deux actions principales sont prévues pour y faire face, à savoir la révision de la réglementation de la collecte du lait, et l'insertion des colporteurs dans le circuit formel, selon leurs compétences.
9.000 génisses importées durant les trois premiers trimestres de 2024
- S'agissant de la subvention de l'importation des génisses laitières et des velles, combien de têtes ont été importées à la date d'aujourd'hui ?
- La recapitalisation du cheptel laitier se poursuit. Les membres de la Fédération ont importé plus de 24.000 génisses depuis 2022, dont environ 9.000 génisses durant les 9 premiers mois de 2024.
- Le ministre de l'Agriculture, Mohammed Sadiki, a fait récemment d'importantes annonces visant à booster le secteur. Il a dans ce sens signé, le 4 octobre dernier, avec Maroc Lait, une convention relative au transfert de la gestion déléguée du Centre régional d'insémination artificielle de Aïn Jemâa. Comment cette mesure participera-t-elle au repeuplement du cheptel ?
- La première nouveauté relative à ce centre d'insémination est d’ordre stratégique. Désormais, le Centre de Aïn Jemâa ne devra plus porter le qualificatif de "régional", mais bien celui de "national". Il deviendra ainsi le "Centre national de production des semences congelées de bovins laitiers", et sera doté de tous les moyens techniques et sanitaires pour répondre aux normes internationales en vigueur. Ce centre ambitionne d’assurer, à court terme, 50% des besoins du Maroc en semences de vaches laitières.
> Lire aussi : Insémination artificielle : avec le centre de Aïn Jemâa, voici comment Maroc Lait compte booster la filière laitière
La maîtrise de la production des semences localement permettra à nos éleveurs, via des inséminateurs formés et agréés par Maroc Lait, d’avoir accès à des semences à haut potentiel génétique, dans les meilleurs délais et à un coût meilleur qu'à l’import.
Cela devrait améliorer l’intervalle du vêlage, et donc le repeuplement du cheptel et, par ricochet, réduire notre dépendance au marché international, ce qui va dans le sens du renforcement de la souveraineté nationale dans ce domaine.
- Le ministre a également évoqué un nouveau programme de subvention de l'aliment composé qui suit le modèle de la SOREC afin d'éviter la problématique d'adaptation aux vaches laitières et qui impacte leur production. Qu'en est-il exactement ?
- En effet. Depuis son lancement en 2022, la subvention des aliments composés est effectuée à travers un appel d’offres par des organismes étatiques. Elle est distribuée en nature [aliments, ndlr] aux éleveurs par le fournisseur sélectionné. Or, le changement de fournisseur entraîne un changement dans le régime alimentaire du cheptel, ce qui provoque une baisse de la productivité laitière des vaches.
La solution proposée, déjà pratiquée par la SOREC, consiste à payer la subvention directement aux éleveurs, via Maroc Lait, sur dossier complet justifiant notamment la réception des aliments livrés par leur fournisseur habituel.
En 2025, exonération de la TVA sur les aliments simples et les fourrages
- Quelles sont les autres mesures prévues pour développer le secteur, et dépasser la crise actuelle?
- Nous travaillons toujours en parfaite coordination avec notre ministère de tutelle, que nous tenons à remercier pour sa proximité et la concertation continue pour tout ce qui concerne le développement de la filière laitière. C’est ce qui nous a permis d'avoir un plan d’action réparti entre les deux parties en termes de responsabilité.
Au niveau du ministère de l’Agriculture, voici les mesures prévues pour dépasser la crise actuelle :
- la subvention continue des aliments composés pour vaches laitières (depuis mars 2022 à ce jour) ;
- l'exonération de la TVA sur l’importation des aliments simples et des fourrages en 2025 ;
- la reprise de la subvention des génisses produites par les éleveurs ;
- la subvention des jeunes velles importées et produites localement ;
- la subvention d’un contingent de 20.000 génisses de races laitières importées.
Le prix du lait à la production a augmenté de plus de 30%
Pour ce qui est de Maroc Lait, en plus de l’augmentation des prix payés aux éleveurs (plus de 30%) pour les aider à faire face à l’augmentation des prix des aliments et les encourager à maintenir leur élevage et leur activité de production laitière, les mesures prévues sont les suivantes :
- Le suivi de la production du lait et sa commercialisation pour l’approvisionnement régulier du marché en collaboration avec le ministère.
- Le lancement de 6 unités régionales d’encadrement laitier (URELs) complémentaires. Il s’agit d’une politique de proximité permettant l’écoute, la formation, l’adhésion à l’AMO, et le soutien des éleveurs. L’objectif est de permettre aux éleveurs d’améliorer la productivité des aliments, du lait, de la viande, et donc d'obtenir un meilleur revenu.
- Les programmes de formation initiale et de recyclage des techniciens en insémination artificielle et contrôle laitier, la formation et la sensibilisation des éleveurs au niveau des régions et au niveau du Lactopôle de Casablanca pour leur permettre de mettre en pratique leurs formations théoriques.
Les autres conventions et études réalisées et en cours sont :
- Une étude nationale importante sur les coûts de production du lait à la ferme. Cette étude qui cible toutes les régions du Maroc et toutes les catégories d’éleveurs, permettra de mieux comprendre les problèmes de chaque catégorie d’éleveurs pour mieux répondre à leurs besoins.
- Une convention pour "le développement des variétés d’orge performantes en hydroponie" en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II et l’École nationale d'agriculture (ENA) de Meknès.
- La coordination d’une expérience d’analyse génomique du cheptel laitier, en partenariat avec le National Architectural Accrediting Board (NAAB), l’ambassade des Etats-Unis, et Firmapro Maroc.
- Une convention de partenariat avec trois fédérations étrangères de bovins laitiers.
- L'élaboration avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) de la stratégie de développement de la filière Lait au Maroc.
- Selon nos informations, parmi les conventions en cours de préparation par Maroc Lait avec le ministère de tutelle figure une convention relative à l'identification des bovins par la Fédération, en coordination avec l'Office national de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Peut-on avoir plus de détails à ce sujet ?
- La maîtrise de l’activité de la filière laitière et de son développement passe nécessairement par sa digitalisation et la traçabilité totale de toutes ses composantes (exploitants, exploitations, animaux…). Cela nécessite une maîtrise parfaite de l’identification nationale et continue des bovins.
Ce chantier se fera avec notre ministère de tutelle, via l’ONSSA, et notre Fédération Maroc Lait.
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