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TGR, Finances publiques: une conversation avec Noureddine Bensouda

Noureddine Bensouda est un homme plutôt discret. Depuis une vingtaine d'années, il est au coeur des finances publiques, d'abord en tant que Directeur général des impôts puis en tant que Trésorier général du Royaume. Ci-dessus, il nous parle de sa mission, de sa responsabilité de commis de l'Etat, du travail de la TGR et de sa grande passion: les finances publiques.

Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume.

TGR, Finances publiques: une conversation avec Noureddine Bensouda

Le 2 novembre 2024 à 10h40

Modifié 14 novembre 2024 à 15h10

Noureddine Bensouda est un homme plutôt discret. Depuis une vingtaine d'années, il est au coeur des finances publiques, d'abord en tant que Directeur général des impôts puis en tant que Trésorier général du Royaume. Ci-dessus, il nous parle de sa mission, de sa responsabilité de commis de l'Etat, du travail de la TGR et de sa grande passion: les finances publiques.

Médias24. Le colloque international des finances publiques en est à sa 16e édition. Il est devenu un rendez-vous et une base de discussion et de débat. Comment avez-vous fait pour l'amener à ce niveau?

Noureddine Bensouda. Le sujet des finances publiques est un sujet passionnant. Certains pensent qu'il est technique, mais, en fait, les finances publiques sont éminemment politiques. Pour parler d'un point de vue scientifique, au sein de la Trésorerie Générale du Royaume, nous avons, je pense, la première bibliothèque fournie d'ouvrages et de thèses de doctorat worldwide et qui sont à la disposition aussi bien des universitaires que de ceux qui s'intéressent aux finances publiques.

- C'est celle que vous ouvrez une fois par semaine au public ? 

- Oui, elle est ouverte au public pour permettre à tout un chacun de puiser dans les références dont on dispose. Justement, notre travail consiste d'abord en une mission d'aide à la décision pour les décideurs publics et privés et en même temps de vulgariser cette matière qui ne paraît pas très attirante du fait de sa technicité.

Mais en fait, les finances publiques, finalement, c'est tout simple. C'est comme les finances d'un ménage ou celles d'une entreprise. Il y a d'un côté des recettes et de l'autre côté des dépenses. Et puis, il y a de la dette. On s'endette pour la consommation ou de l'investissement. Au niveau de l'État, il y a une règle d'or au niveau de la loi organique des finances, surtout celle de 2015. En principe, l'Etat s'endette pour financer de l'investissement.

Alors, ce travail de mobilisation des recettes ordinaires, qui comprennent aussi bien les recettes fiscales, les recettes douanières, les revenus domaniaux et puis aussi les dividendes qui nous proviennent des entreprises publiques, est un travail qui doit se faire dans la concertation et dans la convergence. D'ailleurs, cette convergence fait partie de la volonté de restructuration et d'amélioration de la gestion des finances publiques. Comme il y a beaucoup d'intervenants, il est nécessaire d'avoir une cohérence entre les acteurs, que ce soit au niveau de la mobilisation des ressources ou au niveau de l'exécution des dépenses publiques.

Pour la partie recettes, permettez-moi juste de faire une petite parenthèse. Si toutes les administrations vont chercher dans le même endroit, on va avoir une inflation en termes de prélèvements obligatoires. C'est pour cela que quand il s'agit de mettre en place la fiscalité locale, il fallait arbitrer entre ce qui est revient à l'État, c'est-à-dire l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, la TVA et les droits d'enregistrement, et tout ce qui devait relever des collectivités territoriales. Dans la première réforme, il y avait quelques doublons qui ont été corrigés par la suite et qui ont mis un peu d'ordre.

Mais le plus important dans ce domaine, ce ne sont pas les prévisions, c'est l'exécution. Car c'est l'exécution qui permet, j'allais dire, de respecter des principes constitutionnels tels que la transparence, l'égalité des chances, la responsabilisation des acteurs.

Un poste d'observation, le coeur financier de l'Etat

- Vous voyez passer devant vous les chiffres des finances publiques chaque mois puisque vous êtes le premier à les publier. On ne sait pas, peut-être qu'en lisant, vous vous faites une opinion, parfois un jugement de votre part sur l'évolution des finances publiques. 

- Il y a de l'observation par rapport à l'exécution du budget de l'État et celui des collectivités territoriales. Comme vous le savez, la Trésorerie Générale centralise tout ce qui se passe en flux financiers au niveau national et mondial... Certains ne savent pas qu'il y a un comptable dans chaque ambassade et dans chaque consulat, qui reporte à la Trésorerie Générale.

Tous les comptables publics reportent à la Trésorerie Générale du Royaume, qui fait la centralisation. Cela fait partie de la gestion des finances publiques.

Alors, ce poste d'observation nous permet d'avoir un reporting mensuel et concentralisé et de le partager avec le grand public. Cela fait partie de ce qu'on appelle le budget ouvert, pour mettre à la disposition de tout un chacun, que ce soient les spécialistes ou les décideurs publics ou privés, les éléments d'information sur l'exécution de la loi de finances.

Mais je vous avoue qu'il faut être un peu expert pour pouvoir les suivre. Justement, notre rôle, nous, en tant qu'institution, c'est d'expliquer, de partager, de sensibiliser surtout les décideurs par rapport à l'exécution du budget.

- Est-ce qu'il vous arrive ou est-ce qu'il vous est arrivé de prendre le téléphone et d'appeler des ministres pour attirer leur attention sur un dérapage ou une décision qui peut être lourde de conséquences ?

- Nous sommes plus des conseillers, parce que dans chaque ministère, nous avons un trésorier, qui s'appelle le trésorier ministériel, qui s'occupe des recettes, si recettes il y a dans ces départements, et surtout des dépenses.

Donc on les accompagne, par exemple, pour tout ce qui est appels d'offres. Ce côté technique ne doit pas retarder l'exécution d'une politique publique. Parce que le plus important pour un ministre de la Santé, c'est d'achever son hôpital, d'acheter des médicaments. La même chose pour celui de l'Equipement.

S'il y a retard à notre niveau, nous allons impacter négativement la mise en œuvre des politiques publiques. Et la même chose pour la recette. Il faudrait que la recette rentre le plus rapidement possible pour qu'elle soit dépensée, pour in fine servir un citoyen qui attend un service public, soit en transport, soit en équipement, soit en médicaments, soit surtout en éducation nationale.

- En fait, vous êtes le cœur financier de l'État. Toutes les dépenses et les recettes passent par vous...

- En effet, mais c'est un cœur qui doit marcher dans de bonnes conditions. Il ne doit pas avoir de l'arythmie. Il ne doit pas avoir des problèmes de battements plus rapides ou moins vite que ce que devrait être un cœur qui marche bien. Justement, on prend soin de ce cœur pour qu'il tourne, pour ne pas bloquer.

Comme vous le savez, par exemple, la Trésorerie Générale s'occupe des dépenses du personnel. C'est pratiquement un million de personnes chaque mois. C'est nous qui payons tous les fonctionnaires de l'État et tous les fonctionnaires des collectivités territoriales. Et nous avons des relations avec le secteur bancaire. Parce que, par exemple, quand vous avez un crédit, il faut qu'on fasse des retenues conventionnelles pour payer le crédit que vous avez emprunté. Donc, que ce soit crédit de consommation, crédit immobilier, ainsi de suite.

Donc, tout cela doit tourner, sans avoir un jour de retard. Et c'est pour ça que, quand il y a eu la COVID-19, nous étions sollicités pour accélérer la digitalisation. Et on a pu payer les dépenses publiques à temps. On a pu payer le personnel à temps, parce qu'il y a des salariés qui attendent et qui ont des engagements au quotidien. Donc, on ne peut pas se permettre un jour de retard. Toutes les dépenses publiques transitent par la Trésorerie Générale.

Le cas du Haouz

- Alors, on va essayer de lever une ambiguïté sur le Haouz. Parfois, les gens disent que l'État n'a pas d'argent, c'est pour cela qu'on ne reçoit pas toutes les tranches ou qu'on les reçoit en retard. Est-ce que c'est vrai ?

- Je pense que parfois, il y a une confusion entre la prévision, l'annonce et la volonté politique d'une part et le temps nécessaire pour l'exécuter d'autre part. D'ailleurs, si vous prenez le texte des marchés publics, il y a une indication importante là-dedans.

Qu'est-ce qu'elle dit ? Elle dit, quand je demande à une entreprise de participer, il faut que cette entreprise ait la capacité d'exécuter. Parce que si elle a un carnet de commandes très rempli, elle n'est pas en mesure d'exécuter.

Je prends par exemple certains départements ministériels qui ont demandé des augmentations d'enveloppes budgétaires. C'est bien d'augmenter l'enveloppe budgétaire, mais il faut avoir la capacité de l'exécuter.

On ne travaille pas pour les prévisions, on travaille pour une réalité sur le terrain

Il faut qu'il y ait une cohérence et une adéquation entre l'enveloppe qui est nécessaire pour l'investissement, mais en même temps, il faut que le personnel puisse mettre en œuvre cette politique. Et parfois, il y a un décalage et ça se retourne en termes de report. Vous avez des crédits d'investissement qui vont être reportés parce que l'exécution n'a pas pu se faire. Pourquoi ? Parce que même si vous recrutez, les personnes qui ont été recrutées n'ont pas la capacité d'être opérationnelles tout de suite.

Et c'est pour ça, je vais me permettre de citer M. Migaud, qui était le président de la Cour des comptes en France. Il dit, le plus important, ce ne sont pas les prévisions budgétaires, c'est l'exécution. Et je vais rajouter une chose, le plus important, c'est la concrétisation pour que le citoyen, quand on lui dit qu'il y a une école, il la voit. Quand il dit qu'il y a un hôpital, il le voit. Quand on dit qu'il y a un remboursement des frais médicaux, il faut qu'il le touche. On ne travaille pas pour les prévisions, on travaille pour une réalité sur le terrain.

- Tout à l'heure, vous avez parlé de la Covid qui a accéléré la digitalisation. Aujourd'hui, on va de plus en plus vite avec les outils technologiques. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

- Le plus important dans ce domaine-là, c'est l'organisation en amont. D'abord, il faut avoir une vision claire, voire le référentiel juridique et son implémentation au niveau des systèmes d'information.

Je vous donne un exemple. Quand vous prenez quelques administrations, y compris la nôtre, pendant des années, nous avions des systèmes qui existaient pour le personnel, des systèmes pour la dépense publique des biens et services, des systèmes pour la gestion des recettes, mais il n'y avait pas d'interopérabilité des systèmes. C'est important. On ne peut pas travailler en silo. Il faut qu'il y ait une interopérabilité.

Il en est de même de manière globale entre les ministères. Par exemple, si vous construisez un hôpital et il n'y a pas de route qui est prévue cette année pour arriver à cet hôpital, votre hôpital est en décalage. Si vous avez votre budget d'équipement et vous n'avez pas le matériel pour le faire tourner, il y a un décalage. Mais il faut aussi avoir du personnel pour que ce soit opérationnel.

C'est cette convergence sur laquelle on insiste quand on dit vers une meilleure restructuration de la gouvernance des finances publiques. On insiste sur des politiques publiques orientées mission. Quand je dis mission, il y a plusieurs intervenants.

Il faut qu'on se mette d'accord : Qui va prendre en charge ? Est-ce que c'est la collectivité locale ? Est-ce que c'est le budget général de l'État ? Est-ce que c'est l'entreprise publique ? Vu la rareté de ressources, il faut les utiliser de manière optimale.

- Prendre en charge, cela veut-il dire tout centraliser ?

- Non. c'est communiquer. C'est la division du travail social. Chacun doit faire une partie du travail et ne pas que tous fassent la même chose. C'est la communication, la convergence et puis travailler la main dans la main, y compris et surtout avec le secteur privé, la société civile.

Et je vous donne l'exemple le plus récent. On a fait une réforme du décret des marchés publics. Il y a eu une consultation générale avec les fédérations, avec les architectes, avec tous ceux qui sont intéressés par ce décret des marchés publics. Il a été publié sur le site du Secrétariat général. On a reçu tous les commentaires, on a corrigé et on a mis en œuvre.

Bien entendu, il y a des adaptations à faire. Si nécessaire, on va les faire. Mais je tiens quand même à saluer ce travail d'équipe et qu'il va nous mener vers plus de transparence et plus d'égalité des chances pour les entreprises.

- Est-ce que ces nouveaux outils, par exemple l'intelligence artificielle, signifient quelque chose pour vous ? Est-ce que vous les adoptez ? Est-ce que vous les introduisez ou est-ce que ce n'est pas encore le moment ? 

- Oui, l'intelligence artificielle, finalement, essaie d'améliorer l'intelligence de l'homme quelque part. J'essaie de schématiser. Souvent je parle de l'extension de mémoire. Si je travaille tout seul, je fais un commentaire, une observation sur un fait. Mais si on est trois à observer le fait, on va avoir cet effet multiplicateur d'ailleurs, qui est connu en économie et qui vous permet d'améliorer.

Avec l'intelligence artificielle, on écrase le temps. Il y a une gestion du temps plus rapide. Je vais utiliser toute l'information pour le service public. Peut-être que les personnes qui travaillent aujourd'hui sur des tâches qui ne sont pas à grande valeur ajoutée, vont faire autre chose de différent et nourrir cette intelligence artificielle. C'est une rupture.

Il y a deux comportements. Par exemple, dans les universités, il y a ceux qui les acceptent et ceux qui essaient de la contrôler. D'ailleurs, souvent on dit que les Américains créent une technologie et les Européens essaient de l'encadrer par la norme. Ce sont des comportements différents.

Soit on l'intègre, nous avons déjà commencé à l'intégrer au niveau de la Trésorerie générale parce qu'on a un chatbot qui répond aux questions et ainsi de suite, et on essaie d'utiliser utilement notre capital humain.

- Si on voit le volume du budget, on croit qu'on n'est pas très loin de la moitié du PIB du Maroc. Donc la moitié du PIB du Maroc transite-t-elle par la TGR ?

- On le fait avec beaucoup d'engagement, beaucoup de respect de la législation et de la réglementation en vigueur. Et nous essayons de nous inscrire dans une culture d'accompagnement et de soutien à la politique gouvernementale tous azimuts.

D'ailleurs, je vous avoue que dans la journée, on est souvent sollicités par tel ou tel département pour accélérer, pour mettre en œuvre. On est sollicités par des opérateurs économiques quand parfois il y a une panne au niveau d'un système d'information et qu'il y a un marché qu'il faut payer ou qu'il y a des documents qu'il faut mettre en place.

D'ailleurs, nous avons totalement récupéré la gestion de la fiscalité locale. Cela fait partie des politiques d'intégration que nous constatons au niveau du ministère de l'Economie et des Finances. C'est une constante.

On a eu l'intégration, par exemple, du contrôle général des engagements de dépenses (CGED) qui a été fusionné avec la Trésorerie Générale.

Nous avons eu en 2004 l'intégration de l'assiette, de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu, de la TVA, le recouvrement est passé à la Direction Générale des Impôts. En 2024, l'assiette de ces taxes locales est passée à la Trésorerie Générale et la taxe professionnelle est passée à la Direction Générale des Impôts en termes de recouvrement.

Ce que je veux dire, c'est qu'il y a toujours dans cette volonté d'optimisation, d'intégration et l'objectif de diminuer les interlocuteurs, pour ne pas laisser le citoyen ou l'opérateur économique ballotté entre des administrations, celles qui font l'assiette et celles qui font le recouvrement.

Au niveau de la dépense, c'est la même chose. Cette intégration permet d'aller de l'avant et répondre efficacement à la demande de notre société.

Tout ce que vous voyez a eu une traduction en finances publiques, ports, aéroports, routes, autoroutes, dessalements...

- Vous organisez des colloques et vous êtes un observateur et un acteur des finances publiques au Maroc. Si on vous demande comment la gestion des finances publiques a-t-elle évolué sur les 20 dernières années ? 

- Je vous donnerais une réponse peut-être simple. C'est voir tout ce qui a été fait au Maroc depuis 25 ans en termes de réalisations.

Tout ce que vous voyez a eu une traduction en finances publiques. Ports, aéroports, routes, autoroutes, dessalement, tout cela, ce sont les finances publiques. Permettez-moi d'insister sur quelque chose de fondamental. C'est un peu ce qui nous attend, c'est la consolidation. La consolidation entre les finances de tous les acteurs. J'entends par là État, collectivités territoriales, entreprises publiques, tout cela, et aussi ce qu'on appelle les finances sociales, tout ce qui est protection sociale.

La viabilité ou la soutenabilité de ces finances publiques, c'est ce qui fait le fondement de l'État

Normalement, on juge un pays à travers la situation des finances publiques, avec un grand F et un grand P, ce qui intègre toutes les composantes. Et la viabilité ou la soutenabilité de ces finances publiques, c'est ce qui fait le fondement de l'État.

- D'accord. Mais vous refusez de donner un jugement direct ? Vous évitez, non ?

- Non, vous savez, les questions, je les prends avec grand plaisir et en toute sincérité et intégrité. Je suis un homme de chiffres et un homme de terrain.

Et donc, si vous voyez ce qui se passe au niveau du terrain, nous avons des réalisations importantes grâce à la politique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Et nous, sur le plan de la gestion des finances publiques, nos recettes ont progressé.

Parfois, bon an, mal an, il y a eu des baisses lors de moments difficiles, tels que la Covid-19. Et il y a une volonté de dépense dans l'investissement.

Par rapport à cela, je dirais que parfois, il y a un peu de retard dans l'exécution, parce qu'au lieu d'exécuter l'année en cours, on reporte à l'année d'après pour des questions de capacité de mise en œuvre ou bien par rapport à de la maîtrise d'ouvrage déléguée qui est accordée à un intervenant qui lui-même fait appel à une entreprise privée qui va exécuter. Donc, c'est là où il y a peut-être des marges de progression pour accélérer cette volonté d'investissement du Maroc.

- Quand vous parlez des finances publiques, vous en parlez avec beaucoup de passion... On le sent.

- Oui, je suis passionné, effectivement. J'aime bien mon travail.

Je resterai étudiant toute ma vie peut-être

- C'est pour cela que vous est venue l'idée du colloque international ?

- En fait, l'idée, j'allais dire, c'est plus... Je resterai étudiant toute ma vie peut-être. Voilà, et j'ai une faiblesse pour l'université. Et d'ailleurs, il n'y a même pas quinze jours, j'étais à l'université Ibn Tofail de Kénitra. Dans dix jours, je serai à l'Université Internationale de Rabat. J'étais à l'UM6P où j'ai donné une conférence. En fait, c'est cette volonté de partager.

Parmi les chantiers que nous avons au niveau de la Trésorerie Générale, c'est ce transfert de connaissances. Nous y travaillons et nous avons beaucoup investi sur nos ressources humaines. Depuis 2010 jusqu'à aujourd'hui, on a recruté pratiquement 2.400 personnes.

Le taux d'encadrement est passé de 40% à 74%. Le taux de féminisation est passé de 35% à 45%. Pour nous, il y a deux choses importantes. La première, ce sont les ressources humaines. Ensuite, c'est l'information. L'information est la base des finances publiques. C'est le capital d'aujourd'hui.

Nous avons beaucoup investi. D'ailleurs, nous avons des personnes qui se sont spécialisées en data science. Elles sont en train de suivre cette vague d'intelligence artificielle. Nous misons beaucoup sur les jeunes en termes de formation, aussi bien au niveau national qu'au niveau international.

"Je suis un commis de l'Etat"

- Jusqu'où va votre passion pour les finances publiques ? Si on vous proposait demain de diriger le ministère de l'Economie et des finances, qu'est-ce que vous diriez ?

- Je vous dirais une seule chose. Je suis un commis de l'État. Je m'investis dans ce qu'on m'a confié et je m'y investis sérieusement. J'essaie de transférer mon expertise dans ces domaines-là qui sont très intéressants.

Et franchement, c'est un domaine vraiment passionnant. Cela me passionne, mais moi, je suis à la disposition de l'État.

- Je voudrais vous poser une question très concrète sur les ATD. Cela nous éloigne un peu du colloque, de la grande réflexion. Est-ce que réellement il n'y a plus d'ATD ?

- Alors d'abord, pour expliquer à tous ceux qui nous écoutent, il s'agit des Avis à Tiers Détenteurs, ce qui veut dire que quand vous avez du recouvrement d'une créance publique, vous demandez à une tierce personne qui détient les fonds de la personne concernée de vous l'envoyer, c'est la loi qui le prévoit.

Donc les ATD existent pour ceux qui ne payent pas. D'ailleurs, quand vous voyez le taux de recouvrement dans d'autres pays, il est proche de 95-96%, ce qui n'est pas le cas chez nous. Nous avons un peu de retard dans le paiement de certaines créances publiques et nous agissons par ATD en fin de parcours.

En principe, on envoie un premier avis sans frais, un deuxième avis, le commandement, et c'est quand la personne ne réagit pas, c'est à ce moment-là qu'on utilise l'ATD. Mais là, nous avons une relation apaisée avec nos concitoyens. Ces derniers temps, nous envoyons des SMS. Parce que, souvent, les gens disent, nous n'avons pas reçu. Cela donne de bons résultats.

Et puis, nos équipes sont aussi là à la disposition de nos concitoyens pour essayer de les accompagner. Et puis, si besoin de donner un étalement, on le fait. Si besoin d'accorder une remise, on le fait.

Mais l'essentiel, nous sentons une évolution positive que je salue. J'espère que cela va se renforcer à l'avenir.

- Mais les ATD ?

- Les ATD, c'est un recours nécessaire pour ceux qui ne payent pas. Mais il faut quand même avouer que parfois, il se peut qu'il y ait des erreurs. Et il faut rattraper les erreurs rapidement. Ce sont des milliers d'avis à tiers détenteurs. Il se peut qu'on se trompe, mais on est là pour corriger toutes nos erreurs.

- Alors, le stock d'arriérés, il est de combien ?

- Les restes à recouvrer que nous avons sont constitués d'arriérés de revenus domaniaux tels que les ventes ou les locations. Par locations, il s'agit par exemple, de bien loués pour l'usage agricole ou bien du patrimoine communal loué.

Nous avons le reste à recouvrer des impôts d'État qui étaient gérés par nous avant 2004. Parce qu'entre-temps, nous avons continué à gérer les anciens montants non recouvrés. L'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu et la TVA. Mais tout cela, c'est en train d'être apuré. Et puis parfois, il y a des sociétés qui ont disparu. Donc, on essaie de recouvrer, mais difficilement.

Et puis, nous avons toute la partie collectivités territoriales. C'est là où nous sommes en train de faire un effort. Le choix a été fait d'avoir des systèmes intégrés. La Direction générale des impôts prend en charge la taxe professionnelle et nous nous occupons de la taxe d'habitation et de la taxe sur les services communaux. Il y a une augmentation substantielle de ces trois impôts. 36% d'augmentation depuis qu'on a pris la gestion de la taxe sur les services communaux, 26% pour la taxe d'habitation et 23% pour la taxe sur les terrains non bâtis.

- Lorsque vous parlez des hausses, c'est des améliorations de recouvrement ?

- Amélioration du recouvrement et aussi élargissement de l'assiette. Nous avons trouvé que certains quartiers n'étaient même pas appréhendés.

- Est-ce que l'État est bon payeur ?

- Il faudrait qu'on démystifie un peu cette situation. Souvent, il y a un travail de l'amont vers l'aval. Tout à l'heure, je vous ai parlé de la capacité dans certains départements à mettre en œuvre des politiques publiques.

C'est ce qui veut dire que dans chaque département, les responsables, que nous appelons ordonnateurs, doivent être en mesure de dérouler, de mettre en place le marché public, de le suivre, d'adjuger et de donner le bon pour commencer à travailler. Souvent, certains responsables, au lieu de dire que nous sommes en retard en tant qu'ordonnateur, ils disent au niveau de la Trésorerie générale.

Mais ce n'est pas pour me dédouaner par rapport à une réalité. Parce que nous, c'est l'État. Quand je dis nous, que ce soit les ordonnateurs, que ce soit les comptables publics que nous sommes, nous sommes les mêmes. Nous sommes tous responsables. Nous sommes dans une chaîne.

Il arrive parfois qu'il y ait du retard. Justement, il y a eu une évolution à ce niveau-là pour les délais de paiement. Tout à l'heure, je vous ai dit que les systèmes d'information ont été d'un apport essentiel.

Tout est tracé aujourd'hui. On connaît les comportements de chacun et à quel moment il va mettre en place ou exécuter son marché public.

Maintenant, la réalité, parce qu'il faudrait parler des réalités. Et sur cela, on est en train de travailler avec les fédérations.

Qu'est-ce qui se passe avant de mettre le système en place ? C'est-à-dire sur le plan technique. Quand les bureaux d'études se déplacent, quand l'architecte se déplace. Quand est-ce que cet ouvrage a été achevé ? C'est cette partie-là qui nous échappe encore. C'est la réception. On est en train de travailler avec eux.

D'ailleurs, j'avais invité l'une des fédérations pour dire on va faire avec vous le parcours du combattant de A jusqu'à Z pour chronométrer et savoir exactement ce qui se passe en amont.

Mais on est meilleur payeur que d'autres. Je ne vais pas les citer parce que vous savez que dans un autre secteur qui n'est pas le secteur public, il y a des retards inter-entreprises.

- Mais est-ce qu'on a une idée de la durée moyenne aujourd'hui entre la réception et le paiement ?

- Vous savez, vous pouvez faire ce que vous voulez. Il faut changer de mindset. Il faut de la volonté. Il faut travailler. Il faut essayer de renforcer la transparence.

Si vous n'avez pas cela, vous ne pouvez pas, quelles que soient les législations, les réglementations que vous allez avoir, vous n'allez pas atteindre votre objectif.

- Revenons au colloque. Quels seront les points forts de cet événement?

- D'abord, une présentation de ce qui se passe dans la gouvernance financière publique actuelle. On va essayer de procéder par étapes du processus de mise en exécution des politiques publiques. La première étape, c'est d'abord quand il y a des choix. Il y a des choix gouvernementaux qui sont tracés, que nous connaissons.

On a voulu mettre en place un Etat social. Il y a des dépenses qui concernent l'éducation, la santé. Maintenant, au niveau du Parlement, il y a des commissions sectorielles. Il y a une autorisation parlementaire qui autorise l'Exécutif à mener ses politiques publiques.

L'une des idées fortes, c'est de dire, d'abord au niveau de l'autorisation parlementaire, il est question de renforcer la convergence entre les commissions sectorielles. Exemple, entre la commission qui travaille sur les infrastructures, la commission qui travaille sur la justice et celle qui travaille sur les finances. C'est cette bonne cohérence et convergence entre ces intervenants, on va avoir une autorisation parlementaire renforcée, améliorée, en bonne convergence.

La coupe du monde 2030 est un événement structurant

- Comment obtenir cette cohérence ? C'est un problème de communication ?

- Non, c'est une communication qui existe, parce que les partis politiques ou la majorité parlementaire, avec l'opposition, communiquent entre elles.

Ce qui est nécessaire, c'est renforcer cette communication intersectorielle pour que la mise en œuvre se fasse dans les bonnes conditions. Tout à l'heure, je vous ai donné l'exemple entre un hôpital qui se construit et une route. S'il y a un décalage temporel, cela met à mal la politique publique.

C'est pour cela que la loi organique des finances de 2015 a parlé de missions. C'est cela toute l'évolution des finances publiques, ici et en France. On travaille en missions et en programmes. On ne travaille pas en ligne, en chapitre. C'est démodé. On travaille par rapport à une politique publique.

Une fois qu'on a dépassé l'autorisation parlementaire et la convergence qui se passe au niveau du Parlement, sur le plan d'exécution, au niveau du gouvernement, c'est la même chose. C'est la convergence entre les différents départements ministériels pour qu'on atteigne cette mission.

Aujourd'hui, je tiens à vous dire que nous avons un cap pour la Coupe du Monde 2030. Cette Coupe du Monde est structurante. Elle permet de faire converger toutes les politiques publiques pour atteindre cet objectif, ou plutôt pour profiter de cette opportunité.

En même temps, il va falloir dérouler les hôpitaux, les routes, les ports, les aéroports, le ferroviaire, la formation, le service.... Juste permettez-moi de citer une économiste de renom qui est Mariana Mazzucato. Elle a travaillé sur cela en disant Mission Apollo. Elle a décrit comment, dans le temps, pour envoyer les astronautes sur la lune, il fallait que tout le monde converge.

Notre lune à nous, c'est 2030 et j'espère que ce sera une Lune de miel.

- Quels sont les autres points forts ?

- Il y a aussi un moment fort. C'est un peu ce qui va être présenté, parce qu'on est dans la mondialisation, comment les institutions internationales ont évolué dans leur pensée.

Auparavant, il y avait ce que vous connaissez, le consensus de Washington qui avait une connotation libérale. Aujourd'hui, les institutions du FMI et autres ont évolué dans leurs pensées économiques. Cette présentation sera faite par Karim El Aynaoui.

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