Lenteur, vision floue et contrôle insuffisant dans l'enseignement supérieur privé (Cour des comptes)
Publié récemment, le rapport annuel 2023-2024 de la Cour des comptes épingle le ralentissement de la croissance dans le secteur de l'enseignement supérieur privé, l'absence de vision claire pour son développement, ainsi que des écarts par rapport aux bonnes pratiques internationales dans la conception et le déploiement du système de contrôle et de régulation de ce secteur.

Lenteur, vision floue et contrôle insuffisant dans l'enseignement supérieur privé (Cour des comptes)
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Kenza Khatla
Le 16 décembre 2024 à 17h02
Modifié 16 décembre 2024 à 19h02Publié récemment, le rapport annuel 2023-2024 de la Cour des comptes épingle le ralentissement de la croissance dans le secteur de l'enseignement supérieur privé, l'absence de vision claire pour son développement, ainsi que des écarts par rapport aux bonnes pratiques internationales dans la conception et le déploiement du système de contrôle et de régulation de ce secteur.
La mission de contrôle réalisée par la Cour des comptes dans le secteur de l'enseignement supérieur a concerné la période 2010-2022. Elle a abordé plusieurs problématiques, notamment le cadre général de l'enseignement supérieur privé (ESP), la conception et le déploiement du système de contrôle et de régulation ainsi que la mise en œuvre de ce système de contrôle. Voici ses principales conclusions.
Ralentissement du rythme de croissance annuelle
Le secteur de l’enseignement supérieur privé a connu un développement significatif, avec un nombre d’établissements privés atteignant 196 établissements pour l’année académique 2022-2023, dont 67 rattachés à 10 universités privées, souligne ledit rapport.
Des progrès significatifs ont ainsi été enregistrés dans le secteur, tant en termes de nombre d’étudiants inscrits (de 10.146 en 2000 à 66.817 en 2023), que de structure des établissements qui ont adopté le modèle d’"universités privées", de diversité des filières enseignées, de reconnaissance par l'État de certains établissements, ainsi que de concrétisation des partenariats entre des établissements d’ESP et l’État.
En effet, en termes de nombre d'élèves, la Cour des comptes fait état de 49% d'étudiantes. Les lauréats s'élèvent à 13.930 étudiants, dont 15% sont des étrangers. En ce qui concerne les enseignants travaillant dans ce secteur, leur nombre s'élève à 6.925, dont 36% sont fixes, et représentent 11% du total des enseignants du secteur de l'enseignement supérieur au Maroc.
Les cadres administratifs et techniques représentent pour leur part 3.622 cadres, soit 25% du total des fonctionnaires cadres dans l'enseignement supérieur, selon les statistiques du ministère de tutelle, au titre de l'année 2022-2023.
Cependant, malgré ces évolutions notables sur les plans quantitatif et qualitatif, il a été constaté un ralentissement du rythme de la croissance annuelle du nombre d'étudiants inscrits durant la dernière décennie.
En effet, le taux de croissance annuelle moyen a atteint +13% pendant la période 2000-2010, alors qu’il n’a pas dépassé +5% pendant la période 2010-2023.
Le ministère de l'Enseignement supérieur explique ce constat par le fait que les établissements d'enseignement supérieur privé ont enregistré une augmentation notable du nombre d'étudiants inscrits, mais qui ne se reflète pas dans leur part du total des étudiants de l'enseignement supérieur en raison de la forte augmentation du nombre d'étudiants dans l'enseignement supérieur public, notamment au niveau des établissements à accès ouvert.
Le ministère a également ajouté que les conditions économiques et sociales des familles, en particulier avec la crise de la Covid-19 et ses répercussions, ont contribué à ralentir le rythme des inscriptions dans les établissements d'enseignement supérieur privé.
Absence de vision claire pour le développement de l'ESP : un plan directeur à l'horizon 2035 en cours d'élaboration
Par ailleurs, la Cour des comptes a noté que l’ESP ne faisait pas l’objet d’une vision claire, ni d’une stratégie avec des objectifs spécifiques, traduits en plans d’action, révisés et évalués de manière périodique.
L'enseignement supérieur privé a connu, au cours des deux dernières décennies, deux orientations stratégiques ayant pour objectif, entre autres, de faire de ce secteur un partenaire de l'État et un élément clé du système éducatif, tout en améliorant continuellement sa qualité, comme stipulé dans la Charte nationale de l'éducation et de la formation (1999) et le Programme d'urgence (2009-2012).
La vision stratégique pour la réforme de l'éducation (2015-2030) et la loi-cadre sur le système d'éducation, de formation et de recherche scientifique (loi n° 51.17 du 9 août 2019) visent également à promouvoir l'enseignement supérieur et à renforcer ses orientations en assurant justice, équité des chances et respect des principes de service public.
Cependant, le ministère n'a pas fourni les efforts suffisants pour traduire ces orientations en programmes concrets et objectifs précis, déplore le rapport de la Cour des comptes. Les plans d'action élaborés en 2013 et 2017 n'ont pas été accompagnés de mesures spécifiques. À titre d'exemple, l'un des objectifs fixés était de "promouvoir la création d'établissements d'enseignement supérieur privé tout en garantissant la qualité de la formation", sans pour autant établir des actions concrètes pour y parvenir.
La création d'établissements d'enseignement supérieur privé s'effectue en général au cas par cas, et sans s'inscrire dans une vision globale définissant avec précision les critères et conditions préalables à l'octroi des autorisations nécessaires pour ce type d'établissements.
Le ministère de tutelle explique qu'il veille, lors de l'élaboration et de la mise en œuvre des stratégies liées à l'enseignement supérieur, à inclure toutes les composantes du système, qu'il s'agisse des établissements publics ou privés, afin de garantir leur cohérence, notamment en ce qui concerne les normes de qualité, tout en tenant compte des spécificités des établissements privés. Cela s'inscrit également dans le cadre du plan national pour accélérer la transformation du système d'enseignement supérieur, de recherche scientifique et d'innovation (PACTE ESRI).
Le ministère a également ajouté qu'il travaille à l'élaboration d'un plan directeur à l'horizon 2035, qui permettra de fixer les critères pour déterminer le type d'établissements à créer, les filières de formation à développer et les priorités en matière de recherche scientifique pour chaque région, en prenant en considération les spécificités économiques, sociales et environnementales des territoires. Cela contribuera à orienter les projets de création d'établissements d'enseignement supérieur public et privé.
L'ANEAQ, une institution récente dont le rôle reste consultatif dans le secteur privé
Concernant la conception et le déploiement du système de contrôle et de régulation de l’ESP, la Cour des comptes souligne que ce dernier présente des écarts par rapport aux bonnes pratiques internationales.
À titre d’exemple, l’Agence nationale d’évaluation et d’assurance qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (ANEAQ) est soumise à la tutelle administrative du ministère chargé du secteur, et son rôle au niveau de l’ESP reste principalement consultatif, ne comprenant pas les prérogatives d’octroi ou de retrait des autorisations, d’accréditation et de reconnaissance des établissements d’ESP, ces décisions relevant exclusivement du ministère.
Plus en détail, cette Agence a été créée en 2014. Il s’agit d’un établissement public relevant du ministère de l’Enseignement supérieur. Parmi ses missions, l’évaluation, pour le compte de l’Etat, des établissements d’enseignement supérieur public et privé ainsi que les établissements de recherche scientifique, et l’étude et l’évaluation des cycles de formation, pour l’obtention d’accréditations ou leur renouvellement.
En ce qui concerne les établissements d'enseignement supérieur privé, les missions de l'Agence se limitent à l'étude et à l'évaluation des filières de formation, ainsi qu'à l'émission d'avis avant l'octroi ou le renouvellement des accréditations, ou avant la reconnaissance par l'État. Cela confère à son travail un caractère purement consultatif.
La Cour des comptes estime que les autorités publiques ont choisi de conserver certaines prérogatives alors que, sur le plan international, les pratiques dominantes confient aux organismes similaires à l'Agence des pouvoirs étendus en matière d'octroi et de retrait des autorisations, d'accréditations et de reconnaissance, ainsi que dans l'organisation et le contrôle de l'enseignement supérieur privé. Ces organismes jouissent, pour accomplir ces missions, d'une indépendance fonctionnelle et organisationnelle.
Le ministère de tutelle considère pour sa part que cette Agence est une institution encore récente dans le domaine de l’évaluation et de l’assurance qualité de l’enseignement supérieur. Elle pourrait, à l’avenir, être transformée en une institution décisionnelle dotée de prérogatives plus larges, ce qui nécessiterait une révision des textes juridiques en vigueur.
Un cadre légal incomplet et inadapté : un arrêté relatif aux frais d'inscription dans le pipe
En outre, la Cour des comptes pointe également le cadre juridique régissant l’ESP, lequel reste incomplet et peu adapté aux nouvelles réalités du secteur.
En effet, plusieurs textes d’application ne sont pas encore adoptés, tandis que d’autres ne couvrent pas tous les aspects nécessaires. En outre, le cadre actuel de partenariat entre l’État et certains établissements d’ESP nécessite davantage d’éclaircissements.
Dans ce sens, le ministère de l'Enseignement supérieur a indiqué que des projets de textes réglementaires ont été rédigés et sont en cours de validation au sein du ministère. Ces projets concernent notamment :
- les modifications des dispositions légales relatives à l'autorisation des établissements d'enseignement supérieur privé et à l'accréditation des filières de formation au sein de ces établissements ;
- un projet de décret et d'arrêté fixant les critères de fixation des frais d'inscription, de scolarité, d'assurance et des services connexes dans les établissements d'enseignement supérieur privé ;
- un projet de décret définissant les conditions et le pourcentage de contribution des établissements d'enseignement supérieur privé à la prestation de services gratuits en faveur des enfants de familles démunies, des personnes en situation de handicap et des personnes dans des situations particulières.
Une plateforme électronique d’ouverture des universités privées pour 2024-2025
Par ailleurs, le système de régulation et de contrôle de l’ESP n’est pas couvert par un système d’information global et intégré, capable d’assurer une couverture globale du secteur et de garantir le contrôle efficace des établissements
Un tel système permettrait d’organiser et de surveiller les établissements, d’assurer la qualité des formations dispensées, et d’inclure la gestion des autorisations, des accréditations et de la reconnaissance par l’État. Il fournirait également au ministère des données fiables et exhaustives pour le suivi des performances de ces établissements, l’évaluation régulière de leur conformité aux normes en vigueur, et l’information des parties prenantes.
Sur ce point, le ministère a indiqué qu’il a pris, au cours des dernières années, plusieurs mesures visant à numériser les procédures de gestion des dossiers relatifs à l’enseignement supérieur privé, dans l’objectif d’adopter un système d’information intégré. Il travaille actuellement sur le développement d’une plateforme électronique pour la soumission et l’évaluation des demandes d’autorisation d’ouverture des universités et établissements privés, dont la première phase devrait être lancée au cours de l’année universitaire 2024-2025.
À moyen terme, le ministère prévoit également de développer des plateformes dédiées à la gestion des services aux étudiants, au dépôt et à l’évaluation des demandes de reconnaissance, ainsi qu’au suivi et à l’évaluation des établissements universitaires.
Retard dans le traitement des dossiers
Pour ce qui est de la mise en œuvre du système de contrôle et de régulation de l’ESP, la Cour des comptes estime qu'elle connaît plusieurs insuffisances qui limitent son efficacité pour assurer l’encadrement du secteur, son suivi de manière appropriée, ainsi que son développement et le renforcement de sa qualité et de son attractivité.
Ces insuffisances touchent les principales phases de mise en œuvre du système de contrôle et de régulation. En effet, celui-ci ne permet pas d’assurer une couverture adéquate de la phase d'autorisation, d'accréditation et de reconnaissance des établissements, de la phase de suivi et de contrôle, ainsi que de la phase d’identification des anomalies, de mise en œuvre des actions correctives et coercitives et d’application des sanctions prévues à l’encontre des contrevenants.
Il a également été constaté que les délais prévus pour le traitement des demandes d’autorisation sont souvent dépassés, et que les établissements ne font pas l’objet d’une vérification a posteriori par les services du ministère chargé de l’Enseignement supérieur afin de s’assurer de la satisfaction des engagements pris, notamment en matière de disponibilité des moyens matériels et pédagogiques. À titre indicatif, la durée de traitement de 27 dossiers a varié entre 100 et 800 jours.
Il a aussi été relevé que le contrôle administratif et pédagogique souffre d’une faible couverture des établissements d’ESP, et que plusieurs domaines importants pour le fonctionnement du secteur et la qualité de la formation ne sont pas couverts par le contrôle. Cela limite le suivi du secteur par les services du ministère et la détection des insuffisances de manière appropriée.
Par ailleurs, le ministère de tutelle ne prend pas, en temps opportun, des dispositions à même d’appliquer les mesures coercitives et correctives nécessaires, qui visent à corriger les insuffisances et les infractions relevées lors des contrôles. Cette situation devrait permettre de limiter les infractions et de favoriser la diffusion des bonnes pratiques dans le secteur.
Ces carences sont principalement dues à l'inactivité des commissions issues du Comité de coordination de l'enseignement supérieur privé, constituées depuis 2016, mais aussi au faible niveau de coordination entre les universités et le ministère, ainsi qu'à l'absence d'un système d'information intégré.
Les recommandations de la Cour des comptes
Au vu de ce qui précède, et eu égard aux insuffisances structurelles que connaît le système actuel de contrôle et de régulation de l’ESP, impactant négativement son efficacité et partant sa contribution au développement du secteur, la Cour des comptes a recommandé au chef du gouvernement de réviser le cadre juridique et institutionnel dudit système en conformité avec les bonnes pratiques internationales, et ce, dans l’optique de converger vers une instance de régulation et de contrôle indépendante.
La Cour a également recommandé au ministère de l’Enseignement supérieur de :
- élaborer une vision claire et une stratégie formalisée pour le développement du secteur de l’ESP ;
- développer et renforcer la coordination des activités des différents acteurs et intervenants en matière d’évaluation et de contrôle ;
- établir un cadre qui régit le partenariat public-privé ;
- réviser le régime d’autorisation, de reconnaissance des EESP, d’accréditation des filières par l’État et les mécanismes de contrôle administratif et pédagogique ;
- veiller à la mise en œuvre effective, le cas échéant, des mesures coercitives prévues par les textes réglementaires en vigueur.
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