La Cour des comptes dresse un constat alarmant des menaces qui pèsent sur l'agriculure
Cadre juridique incomplet, manque de synergie entre les stratégies agricoles et climatiques, retard dans les projets de gestion de l’eau d’irrigation, et efforts limités pour réduire les émissions de gaz à effet de serre... Un constat préoccupant dressé par la Cour des comptes en ce qui concerne le secteur agricole.

La Cour des comptes dresse un constat alarmant des menaces qui pèsent sur l'agriculure
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Kenza Khatla
Le 17 décembre 2024 à 10h32
Modifié 17 décembre 2024 à 11h04Cadre juridique incomplet, manque de synergie entre les stratégies agricoles et climatiques, retard dans les projets de gestion de l’eau d’irrigation, et efforts limités pour réduire les émissions de gaz à effet de serre... Un constat préoccupant dressé par la Cour des comptes en ce qui concerne le secteur agricole.
Le secteur de l’agriculture est confronté à d’importants défis liés aux changements climatiques, se manifestant par la rareté des précipitations et leur irrégularité, par l’augmentation de la température, ainsi que par d’autres évènements extrêmes associés au climat. Ce secteur est ainsi considéré comme l'un des plus touchés par ces phénomènes qui entraînent notamment une faiblesse des récoltes agricoles à cause de la réduction des surfaces cultivées et de la baisse des rendements.
Ce secteur est aussi au cœur d'un double défi : assurer la sécurité alimentaire par l'augmentation de la production et l'amélioration de l'efficacité de l'utilisation des ressources pour répondre aux besoins d'une population dont le nombre ne cesse de croître, et la nécessité de préserver les ressources naturelles et d'en assurer la durabilité.
La mission thématique de la Cour des comptes sur l’agriculture face aux changements climatiques a examiné la prise en compte de ces changements dans les politiques et stratégies agricoles et a apprécié l’efficacité des programmes d’atténuation et d’adaptation mis en œuvre dans le cadre de la contribution déterminée au niveau national du secteur de l’Agriculture qui est considéré comme le deuxième émetteur des gaz à effet de serre à l’échelle du Maroc, avec une part d’environ 22,8% en 2018.
Cadre juridique : entre retard et absence
Concernant le cadre juridique et stratégique relatif à la lutte contre les effets des changements climatiques dans le secteur agricole, la Cour des comptes souligne que des efforts importants ont été déployés pour son renforcement au cours des dernières décennies.
Néanmoins, ce cadre reste incomplet, notamment au vu du retard pris dans l'adoption de certains textes d’application, à l’instar des textes devant accompagner :
- La loi n°49.17, relative à l'évaluation environnementale, portant sur la procédure d'élaboration, d'examen et d’exécution de l'évaluation environnementale stratégique ;
- La loi n° 01.06, relative au développement durable des palmeraies et portant protection du palmier-dattier.
En outre, il a été constaté, par la Cour, l’absence d’un corpus juridique spécial visant à protéger les sols contre toutes les formes de dégradation. Dans ce sens, il convient de signaler que le projet de loi n°42.10 sur la protection des sols n'est pas toujours adopté, malgré la pression croissante sur ces ressources en raison des activités socio-économiques.
Interpelé sur ce point, le ministère en charge du Développement durable a indiqué que les textes d'application de la loi n°49.17 sont en cours d'approbation par le Secrétariat général du gouvernement (SGG).
Il a, par ailleurs, précisé qu'il mène des études stratégiques environnementales et sociales pour les programmes qu'il met en œuvre, ainsi que des études d'impact pour les projets de développement. Le ministère a notamment souligné qu'il avait réalisé, dans le cadre de la mise en œuvre du programme "Génération Green", des évaluations environnementales et sociales préliminaires. Ces études visaient à évaluer les risques environnementaux et sociaux liés aux activités de ces programmes et à proposer des mesures d'atténuation à travers l'élaboration d'un plan de gestion des risques.
Le ministère a aussi souligné qu'il était nécessaire d'adopter la loi pour la protection des sols, en particulier dans le domaine agricole, dans un contexte marqué par l'expansion urbaine. Cela exige un travail collaboratif entre les différents secteurs concernés par l'agriculture, les forêts, l'environnement et l'aménagement du territoire.
Manque de coordination entre les stratégies agricoles et climatiques
La Cour a également relevé dans son rapport des insuffisances au niveau de la coordination et de la synergie entre les orientations stratégiques liées aux changements climatiques et les stratégies agricoles, dans la mesure où ces dernières ne sont pas alignées sur les objectifs nationaux de lutte contre les changements climatiques.
Dans ce sens, la réalisation des objectifs de la stratégie "Génération Green" nécessite la prise en compte d’un ensemble de considérations comme éléments clés dans la conception des projets et mesures agricoles, notamment les spécificités géographiques des différentes régions, la sensibilité des territoires et des écosystèmes particuliers aux effets des changements climatiques, la vocation des terres, la rationalisation de l'exploitation des ressources hydriques et leur protection.
Plus en détail, la Cour explique que la préparation des stratégies diverses pour lutter contre les changements climatiques a été réalisée à des périodes différentes de celles qui ont vu leur élaboration. Cela a rendu difficile l'intégration globale de ces dernières dans les objectifs et les enjeux nationaux liés à la lutte contre les changements climatiques.
Dans le cadre des stratégies du secteur agricole, le Plan Maroc Vert 2008-2020 a intégré la notion de développement durable et la dimension climatique dans son sixième pilier dédié à la durabilité du développement agricole national. À ce titre, des projets ont été mis en œuvre pour améliorer la capacité du secteur agricole à s'adapter aux changements climatiques futurs et intégrer des technologies adaptées dans les projets réalisés dans le cadre du plan, notamment l'utilisation de semences sélectionnées, des techniques de conservation des eaux dans les sols et des pratiques agricoles durables.
Cela inclut également l'élaboration d'une carte de fertilité des sols, couvrant 6,7 millions d'hectares et la mise en œuvre d'un programme national de cartographie de l'affectation des terres agricoles selon leur vocation, couvrant 6 millions d'hectares. Toutefois, ces mesures et approches d'adaptation n'ont pas été généralisées aux projets agricoles réalisés.
Dans un souci de continuité, la stratégie "Génération verte 2020-2030" vise, à travers son second pilier, à poursuivre la dynamique de développement agricole par le renforcement des chaînes de production, la modernisation des circuits de distribution, l'amélioration de la qualité de l'innovation et des technologies vertes, ainsi que le développement d'une agriculture résiliente et écologiquement efficace. Cependant, les plans agricoles régionaux, outils essentiels pour déployer cette stratégie au niveau territorial, n'ont pas encore été adoptés. Ces plans devraient permettre de définir les priorités, les objectifs et les projets à réaliser dans chaque région et province.
Retard du projet de semis direct : "l'accélération dépend de la disponibilité des semoirs spécifiques"
En outre, l'avancement de certains projets d'adaptation aux changements climatiques, comme le semis direct des céréales, reste en retard. Cette technique d'agriculture de conservation permet de semer sans labour, améliorant ainsi l'efficacité de l'utilisation de l'eau, des sols et des intrants agricoles. Testée par l'Institut national de recherche agronomique (INRA) depuis plusieurs années, cette technique ne couvrait que 84.511 hectares en 2023 sur un objectif d'un million d'hectares. De même, l'agriculture biologique ne couvrait que 18.500 hectares en 2022 sur un objectif de 100.000 hectares à l'horizon 2030.
Ce retard est dû à plusieurs facteurs, notamment le retard dans l'adoption des textes législatifs relatifs à la production biologique des produits agricoles et aquatiques, l'absence de mesures incitatives pour les agriculteurs, et la faible disponibilité des intrants spécifiques à ce type d'agriculture. Ces enjeux nécessitent des efforts accrus pour atteindre les objectifs fixés.
Le ministère de l'Agriculture a souligné, dans ce sens, que l'accélération de la mise en œuvre du programme de semis direct dépend de la disponibilité des semoirs spécifiques. À cet effet, une subvention de 50% a été mise en place dans le cadre du Fonds de développement agricole, avec un plafond allant de 50.000 à 100.000 DH selon la taille du semoir. Cette subvention atteint 60% dans le cadre du regroupement agricole, avec un plafond allant de 60.000 à 120.000 DH.
Concernant l'agriculture biologique, le ministère a confirmé que des efforts ont été déployés pour structurer ce secteur au Maroc, notamment à travers l'organisation des acteurs, la structuration des différentes composantes, l'établissement d'un cadre légal adéquat (loi-cadre et textes réglementaires), et la mise en place des procédures de certification et de labellisation des produits, un processus qui demande beaucoup de temps. Ce secteur a cependant récemment fait face à plusieurs crises, notamment la crise économique qui a ralenti la croissance du secteur, entraînant une baisse du pouvoir d'achat des consommateurs et des exportations. Cela a poussé certains agriculteurs à changer leurs modes de production.
Enfin, le ministère de l'Économie et des finances a indiqué, pour sa part, qu'une enveloppe budgétaire de 400 millions de dirhams a été allouée pour encourager le semis direct. Ce budget a été établi sur la base d'un semoir pour 400 hectares, avec pour objectif d'atteindre un million d'hectares. Par ailleurs, le contrat-programme pour les cultures biologiques a prévu un budget total 1,5 MMDH, avec une contribution de l'État de 50%.
Recherche scientifique : une feuille de route et un projet de contrat-programme élaborés par l'INRA
S’agissant de la recherche scientifique, un autre volet diagnostiqué par la Cour dans le secteur de l'Agriculture, cette dernière estime qu'il est nécessaire d'exploiter de manière optimale les résultats des recherches qui abordent les problématiques liées aux changements climatiques dans le domaine agricole, en termes d'atténuation ou d'adaptation, et d'œuvrer à leur mise en œuvre en renforçant la communication entre les institutions de recherche, et en favorisant la diffusion des connaissances et leur vulgarisation auprès des agriculteurs.
Dans ce cadre, il convient de souligner que le système de recherche agronomique souffre d’insuffisances liées à la faiblesse de la coordination et de la coopération dans le domaine de la recherche agricole au niveau national, et l’absence d'un système de gestion de la connaissance reliant toutes les institutions de recherche scientifique agricole et permettant l'échange des ressources et le partage des résultats afin d’améliorer l'efficience et l'efficacité de la recherche scientifique dans le domaine agricole.
Le ministère de l'Agriculture a précisé dans ce sens que l'INRA a élaboré et développé une feuille de route pour la recherche, le développement et l'innovation, en étroite concertation avec les institutions de formation et les instituts de recherche scientifique. Celle-ci été soumise et validée par l'autorité de supervision. Les moyens financiers nécessaires à sa mise en œuvre ont également été définis, bien que les augmentations prévues des ressources dans le cadre de la stratégie "Génération Green" n'aient pas encore été mises en œuvre.
Le ministère a également souligné que, afin de renforcer sa performance et fournir les ressources nécessaires à la réalisation de ses programmes de recherche, l'INRA a préparé un projet de contrat-programme avec l'État, qui est actuellement en discussion avec les ministères concernés.
Gaz à effet de serre : des efforts d'atténuation insuffisants
Pour ce qui est des mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, l’examen de l’inventaire des émissions du secteur agricole, qui ont atteint 20.729 Gigagrammes en 2018, a révélé que les mesures d'atténuation mises en œuvre n'ont pas réussi à limiter l'évolution de ces émissions et les ramener aux niveaux escomptés.
En effet, en l’absence d’une approche systémique prenant en considération les différentes composantes environnementales au niveau des actions exécutées et tenant compte des principales sources d’émissions des gaz à effet de serre, ces mesures basées principalement sur les plantations arboricoles n’ont pas été suffisantes pour réduire les émissions dues aux changements d’affectation des terres.
Selon la Cour, le secteur agricole est le premier émetteur de méthane (CH4) avec une part de 62,4%, et le principal émetteur de protoxyde d’azote (N2O) avec une part de 92,4% du total des émissions. Ces chiffres représentent le total des émissions du secteur agricole, sans tenir compte des efforts de réduction et des résultats associés, précise pour sa part le ministère de l'Agriculture.
Plus d'eau d'irrigation pour Doukkala entre 2020 et 2023
En matière d’adaptation aux effets des changements climatiques, dans le contexte du stress hydrique que traverse le pays, la Cour stipule dans son rapport qu'il est à présent devenu crucial d’assurer la rationalisation et la pérennisation des ressources en eau allouées à l'irrigation, en tenant compte des risques des changements climatiques au niveau des projets d'extension et de modernisation des systèmes d'irrigation.
La situation de stress hydrique dans notre pays s'est manifestée par la diminution des ressources en eau renouvelables par habitant, passant de 2.560 m3 à environ 606 m3 entre 1960 et 2024. L'évolution des ressources en eau disponibles a montré une baisse significative des réserves dans les barrages au cours des vingt dernières années pour baisser à 3,51 MMm3 en 2023. Une baisse qui a entraîné une réduction des allocations pour les zones d'irrigation agricole, qui reçoivent en moyenne 2,77 MMm3 sur la période 2002-2022, soit seulement 51% des allocations prévues dans les schémas directeurs d'aménagement intégré des ressources en eau, totalisant 5,29 MMm3 par an.
Ces allocations ont diminué de 4,17 MMm3 en 2016 à 1,02 MMm3 en 2023. Certaines zones d'irrigation ont connu une baisse des approvisionnements en eau de plus de 50% pendant cette période, par rapport à la moyenne des allocations entre 2002 et 2018, telles que les zones de Moulouya, Haouz, Ouarzazate et Tafilalet. De plus, les zones de Doukkala n'ont pas reçu d'eau d'irrigation au cours des trois dernières saisons agricoles (2020-2023).
Malgré les efforts du ministère chargé de l'agriculture pour moderniser les zones d'irrigation et les équiper de systèmes d'irrigation localisée, celles-ci souffrent d'une pénurie aiguë d'eau des barrages, ce qui représente un défi pour la durabilité des projets d'investissement réalisés par l'État et les agriculteurs dans ces zones d'irrigation.
Pour accompagner cette situation hydrique, les programmes en vigueur, notamment de gestion de l'eau d'irrigation, nécessitent une évaluation périodique.
Assurance multirisques climatiques : un taux d'adhésion qui demeure faible
Enfin, en ce qui concerne l'assurance multirisques climatiques, la Cour souligne que le taux d'adhésion des agriculteurs reste faible malgré l'augmentation enregistrée au cours de la période 2012-2023, puisqu'il est passé de 7% lors de la campagne agricole 2011-2012 à 24% pendant la campagne 2022-2023, soit 1,2 million d’hectares.
Dans ce sens, face à un contexte marqué par une augmentation de la sinistralité des cultures agricoles, suite à la succession des années de sécheresse et de phénomènes climatiques extrêmes, les risques liés à la pérennisation des produits d’assurance agricole sont de plus en plus importants et nécessitent la conception de nouveaux modes de financement innovants.
Les recommandations de la Cour des comptes
Eu égard à ce qui précède, la Cour a recommandé au ministère de l'Agriculture de :
- Veiller à l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’action thématiques et des plans agricoles régionaux prévus par la stratégie Génération Green, tout en procédant aux ajustements nécessaires afin d’assurer leur convergence et leur synergie avec les stratégies nationales relatives aux changements climatiques ;
- Adopter, au niveau du secteur agricole, une approche systémique permettant la cohérence et la complémentarité entre les objectifs du développement durable et les mesures retenues d’atténuation des GES et d’adaptation aux effets des changements climatiques ;
- Accélérer la réalisation des projets d’irrigation par les eaux non conventionnelles, grâce notamment au dessalement de l’eau de mer, et encourager l’utilisation des énergies renouvelables dans le domaine de l’irrigation, tout en veillant à un contrôle de proximité de l’usage de l’eau d’irrigation afin d’assurer sa rationalisation ;
- Mettre en place une vision intégrée de la recherche scientifique relative aux thématiques traitant les changements climatiques dans l’agriculture, et la traduire en contrats programmes entre l’Etat et les différentes institutions de recherche agronomique.
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