Abdelkhalek Koullab : “Tous les Marocains sont amazighs, ce n'est pas une question de langue parlée”
INTERVIEW. La célébration du nouvel an amazigh au Maroc est fériérisée pour la deuxième fois ce mardi 14 janvier. L’occasion d'échanger avec l'historien Abdelkhalek Koullab sur l’origine de cet événement et sur ses répercussions sur la cohésion sociale du Royaume.

Abdelkhalek Koullab : “Tous les Marocains sont amazighs, ce n'est pas une question de langue parlée”
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Samir El Ouardighi
Le 14 janvier 2025 à 14h00
Modifié 14 janvier 2025 à 13h49INTERVIEW. La célébration du nouvel an amazigh au Maroc est fériérisée pour la deuxième fois ce mardi 14 janvier. L’occasion d'échanger avec l'historien Abdelkhalek Koullab sur l’origine de cet événement et sur ses répercussions sur la cohésion sociale du Royaume.
Réaction à la fériérisation de Yennayer, histoire et origine du Nouvel An Amazigh, changements induits, apport de cette civilisation au Maroc d’aujourd’hui, opposants à la visibilité de cette culture, résultats d’une étude scientifique sur le génome de la population, crédibilité des chiffres du HCP sur l’utilisation de l’amazigh par seulement 25% de la population, qui a créé le calendrier amazigh, utilité et limites de l’alphabet tifinagh: l’éminent historien Abdelkhalek Khoullab revient sur toutes ces problématiques.
Medias24 : Comment avez-vous reçu l'annonce de la fériérisation du Nouvel An Amazigh en 2023?
Abdelkhalek Koullab : Comme une reconnaissance de la culture amazighe. L’occasion de rappeler que lors du discours royal de 2001 dans la ville d'Ajdir, le Souverain avait déjà confirmé que la culture amazighe était une donnée importante de notre pays.
Mais il faut rappeler que bien avant cette déclaration royale, il y avait toujours eu de nombreuses célébrations de Yennayer au Maroc lors des journées des 13 et 14 janvier qui précédaient la fériérisation actuelle qui va donner une nouvelle dimension à cet événement.
Le plus important est que la nation marocaine célèbre aujourd'hui officiellement le Nouvel An Amazigh
-Le Maroc n’est pourtant pas le premier pays qui a rendu férié Yennayer...
-Il n'y a pas lieu de comparer avec d’autres pays car le plus important est que la nation marocaine célèbre aujourd'hui officiellement le Nouvel An Amazigh grâce à la reconnaissance récente des plus hautes autorités de l’importance de sa contribution à notre identité marocaine.
L'occasion de préciser que son importance ne se mesure pas au degré d’utilisation de la langue, mais plutôt sur à sa participation à la constitution d’une identité à laquelle ont participé tous les Marocains en termes d’habillement, de gastronomie, de relations humaines...
Notre identité ne se limite pas à une simple question de langue sans quoi nous devrions exclure de son cercle de nombreux citoyens marocains qui ne parlent pas amazigh.
Idem pour la religion qui ne constitue pas le seul marqueur car si c’était le cas, nous devrions aussi éluder la contribution de la culture juive et même chrétienne à notre identité.
L’identité est en effet ce qui réunit tous les Marocains et qui nous distingue des autres peuples de la planète.
-Quels sont les changements que va entraîner la fériérisation du Nouvel An Amazigh?
-Après l’annonce royale de rendre officiellement férié cet événement, il y a eu depuis l’année dernière une multiplication des célébrations sur tout le territoire national ainsi que le lancement d’une dynamique qui a poussé de nombreux Marocains à s’interroger sur leur passé et à (re)prendre conscience de leur identité amazighe.
Le Nouvel An Amazigh, qui coïncide avec le moment des récoltes, illustre bien l’attachement quasi-viscéral des Marocains à leurs terres agricoles. Cette célébration qui consacre le fruit de leur dur labeur de semences dans les champs est en effet une occasion unique pour célébrer notre unité nationale à l’image des juifs marocains d’origine amazighe qui restent tous très attachés à leur patrie d’origine et à la monarchie malgré leur départ du Maroc.
Dans le cadre de la préparation de cet anniversaire, j'ai reçu hier [dimanche 12 janvier] plusieurs jeunes ainsi que des personnes âgées de 80 ans qui étaient heureuses de fêter le nouvel an sachant qu’il leur a permis de prendre conscience de leur amazighité et de se regrouper.
Au-delà de son côté festif et de rapprochement sociétal, cet événement nous protège des considérations idéologiques qui peuvent menacer la cohésion sociale de nos concitoyens.
Tous les Marocains sont d’essence amazighe y compris ceux qui n’utilisent que l’arabe pour communiquer.e
-Sachant que de nombreux historiens reconnaissent que le Maroc est d'origine amazigh, que faut-il penser des courants politiques qui rejettent toute visibilité supplémentaire de la culture amazighe?
-Malheureusement, les courants que vous citez sont les victimes d’une certaine idéologie véhiculée dans la région du Machrek avec des positions panarabistes qui priment sur l’intérêt national. Partant de ce constat, je considère qu’ils sont dangereux pour le Maroc.
Bien que je sois amazigh et que je ne parle pas la langue, j’estime que tous les Marocains sont d’essence amazighe y compris ceux qui n’utilisent que l’arabe pour communiquer.
A ceux qui pensent que les arabophones du Maroc sont avant tout arabes, je tiens à leur rappeler que l’histoire de notre pays est indissociable de son amazighité et que ceux qui se prétendent arabes devraient aller passer une semaine dans les pays de la Péninsule arabique avant de comprendre qu’ils n’appartiennent pas à cette culture.
L’identité amazighe n’a aucun rapport direct avec l’arabité qui n’est qu’un outil vernaculaire.
Pour se convaincre du fait que tous les Marocains sont d’origine amazighe, il suffit de les regrouper dans une grande place et essayer de faire la différence entre arabe et amazigh pour se rendre compte que c’est impossible car la langue ne permettra pas de les distinguer.
Bien que nos concitoyens utilisent en grande majorité la langue arabe pour travailler, communiquer ou prier, il n’en reste pas moins que l’identité amazighe n’a aucun rapport direct avec l’arabité qui n’est qu’un outil vernaculaire à l’image du français ou de l’anglais.
-Comment expliquer que certains opposants à sa reconnaissance soient d’origine amazighe à l’image du grand penseur Mohamed Abdel Jabri ?
-Pour comprendre son positionnement, il convient de rappeler que Mohamed Abdel Jabri, qui était un dirigeant de gauche, a toujours défendu le nationalisme arabe sans prendre en considération l’importance de l’amazighité du Maroc.
Tout aussi influencés par des idéologies étrangères comme le salafisme, d'autres politiques ont également toujours mis la culture et la langue arabe sur un piédestal au détriment de l’amazigh qualifié de barbaresque et de danger pour la cohésion arabe du Maroc.
Sauf que les différentes recherches archéologiques au Maroc ont montré que l’essentiel de notre culture découlait indéniablement de l’histoire amazighe et de ses fondements. Ces personnes sont par conséquent porteuses de convictions idéologiques étrangères comme le panarabisme ou le salafisme qui représentent une menace pour l’équilibre du Maroc sachant qu’elles ont échoué partout ailleurs.
-De quand date l’implantation de la culture amazighe au Maroc ?
-Votre question n’a pas lieu d’être car l’amazighe est la première civilisation du Maroc et pour s’en convaincre, il suffit de citer le résultat de toutes les recherches archéologiques qui ont montré que l’homo-sapiens est apparu dans notre pays il y a plus de 315.000 ans.
L’utilisation de la langue amazighe a en effet commencé ici avant d’essaimer ailleurs.
-En d’autres termes, l’amazigh est apparu au Maroc il y a plusieurs millénaires ?
-Absolument et sachant que le Maroc est à l’origine de cette civilisation, je trouve qu’il n'est pas utile de s’interroger sur son point de départ.
-Avec le recul, qu’a apporté cette culture à l’humanité et au Maroc d’aujourd’hui ?
-Pour ne vous donner qu’un exemple de la richesse de sa gastronomie, il suffit de rappeler qu’un ouvrage intitulé “la cuisine au Maroc et en Andalousie pendant le règne des Almohades” a été édité dès le début du 12ème siècle qui contenait pas moins de 500 recettes sur les différents types de grillades, de couscous, de méchouis, de pains …
De plus, Hassan Lyoussi qui a vécu au 18ème siècle au temps du sultan Moulay Ismael a écrit un ouvrage sur le burnous (selham) dans l’habillement.
-Qu’est-ce qu’une grande étude génétique d’ADN pourrait montrer au Maroc?
-D’abord qu’il n’y a pas lieu de redouter une telle initiative qui a déjà été menée en Europe et qui a montré que le gène amazigh était présent à 11% dans l’ADN espagnol et portugais. De mon côté, j’ai lancé une étude au Maroc qui a mis en évidence le fait que 84% de l’ADN des Marocains était amazigh et que 0,08% était arabe contre 7% andalou et 6% d’Afrique subsaharienne.
Loin des considérations raciales voire racistes, l’intérêt de ces recherches d’ADN réside dans leur réalité scientifique qui prouve de façon indéniable que la structure génétique des Marocains est majoritairement amazighe.
Ce constat sans appel de la science doit nous pousser à cesser de nous interroger sur notre prétendue arabité à 100% et à nous considérer comme une seule et même nation dont le socle commun est le fruit de notre extrace amazighe.
Tout cela pour dire que le discours de certains qui parlent de fitna, en prétendant que nous sommes un mélange d’arabe et d’amazigh, est complètement faux pour ne pas dire raciste.
L’occasion de rappeler que notre peuple est un des moins mélangés du monde car nous avions une nation puissante qui a été capable de repousser toutes les vagues d’invasions étrangères à l’inverse de celles de la péninsule arabique où l’ADN arabe est très faible par rapport à celui des étrusques, persans, turcs, européens…
-Une grande étude génétique serait donc utile pour convaincre les opposants à l’amazigh que le Maroc vient de cette civilisation ?
-Elle s’impose en effet pour mettre fin au discours idéologique qui prétend que nos racines sont arabes.
-Que pensez-vous du dernier recensement général du HCP qui laisse entendre que seulement 25% des Marocains parlent amazigh sachant que plusieurs activistes de la cause amazigh remettent en cause sa crédibilité ?
-Je n’aime pas commenter les conclusions d’institutions officielles comme le HCP mais d’un point de vue académique, on se rend compte que les Marocains parlent surtout en darija et que ce dialecte qui est propre à notre pays résulte également de la culture amazighe.
Sachant que les opposants à la généralisation de cette langue sont nombreux, il convient cependant de s’interroger sur l’utilité de la publication de ce chiffre. Faut-il y voir un bon début ou plus prosaïquement montrer que la langue arabe reste prédominante au Maroc ?
-Sur quel événement s’appuient les historiens pour dater le Nouvel An Amazigh qui a 2975 ans ?
-Toutes les recherches historiques montrent que l’origine du calendrier amazigh remonte au roi amazigh Chachnak qui a régné sur l’Egypte 950 ans avant Jesus Christ.
La langue n’est qu’un vecteur de communication qui ne détermine pas notre identité.
-Y-a-t-il aujourd’hui des régions marocaines plus amazighophones que d’autres ?
-Pardonnez-moi, mais votre question est raciste car encore une fois, tous les Marocains sont d’origine amazighe et la langue n’est qu’un vecteur de communication qui ne détermine pas notre identité.
-Dans ce cas, sur 37 millions de Marocains, combien d’amazighs s’ignorent au Maroc en ne connaissant pas leurs racines voire qui les rejettent ?
-Depuis deux ou trois ans, je me rends compte qu’un nombre croissant de nos concitoyens ont pris conscience de leurs racines amazighes. Lors de plusieurs conférences organisées à Marrakech ou à Agadir, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs compatriotes comme une dame qui était persuadée d’être d’origine arabe avant de découvrir son amazighité.
C’est aussi le cas d’un homme âgé de 90 ans qui m’a embrassé pour me remercier de lui avoir fait découvrir ses vraies origines. Ces exemples montrent qu’il y a une nouvelle dynamique où les gens prennent conscience et revendiquent leur identité amazighe.
C’est un phénomène positif qui aura pour effet de renforcer la cohésion sociale du Maroc et de nous protéger des idéologies étrangères qui réinventent notre identité et notre histoire.
Graphie tifinagh: on peut l'apprendre en une semaine et les élèves n'ont aucun mal à le faire
-Quid de la graphie Tifinagh qui est difficile à comprendre y compris pour les amazighs désireux de l'utiliser pour communiquer? Est-ce la meilleure solution pour ressusciter la transmission écrite de cette culture de nos origines ?
-Contrairement à ce qu’avancent les opposants à cet alphabet, je considère que son usage est facilité par le fait qu’on peut l’apprendre en moins d’une semaine alors que l’écriture de la langue arabe est bien plus difficile à assimiler.
Il faut en effet rappeler que le tifinagh peut s’écrire de haut en bas, de bas en haut, de gauche à droite et de droite à gauche alors que l’alphabet arabe est plus codifié.
De plus, les enseignants de l’amazigh m’ont tous confirmé que leurs élèves n’avaient aucune difficulté pour assimiler son apprentissage.
-Au final, quel va être l’impact de la fériérisation du Nouvel An Amazigh sur la société marocaine ?
-Cette célébration sera l’occasion de lancer une nouvelle dynamique grâce à la décision royale de mettre en avant l’amazighité de notre identité.
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