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Reportage. À Berrechid, les agriculteurs s’adaptent tant bien que mal à la sécheresse

Quelques mois après le début de la saison agricole, les agriculteurs de la commune d'Ouled Zidane font face à une sécheresse qui perdure depuis près de six ans. Cette absence prolongée de précipitations suffisantes et régulières les oblige à adopter des solutions dont la durabilité reste incertaine afin de ne pas compromettre un fragile équilibre financier.

Un champ de céréales irrigué, jouxtant un autre non irrigué.

Reportage. À Berrechid, les agriculteurs s’adaptent tant bien que mal à la sécheresse

Le 28 janvier 2025 à 10h36

Modifié 28 janvier 2025 à 12h25

Quelques mois après le début de la saison agricole, les agriculteurs de la commune d'Ouled Zidane font face à une sécheresse qui perdure depuis près de six ans. Cette absence prolongée de précipitations suffisantes et régulières les oblige à adopter des solutions dont la durabilité reste incertaine afin de ne pas compromettre un fragile équilibre financier.

Nous sommes le dimanche 20 janvier. L'allure de la fine couche de nuages qui recouvre le ciel ne laisse aucune place au doute dans l’esprit de Othmane, agriculteur à Ouled Zidane : "Il ne risque pas de pleuvoir aujourd’hui", soupire-t-il avec résignation, tout en augmentant la puissance de la pompe qui aspire l’eau de la nappe pour la rejeter dans un bassin d’irrigation.

Dans cette commune rurale située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Berrechid, où se succèdent cultures céréalières et maraîchères, les six années de sécheresse consécutives ont particulièrement éprouvé le moral et les comptes en banque des cultivateurs. Ici, la fertilité de la terre est aléatoire, mais la pénurie d’eau est constante.

 

 

La preuve: les multiples terrains non labourés dont la terre se craquelle sous l’effet d'un soleil blanc d’hiver. De plus en plus d’agriculteurs renoncent à cultiver leurs champs, faute de moyens. Ils préfèrent ne pas gagner d’argent plutôt que de prendre le risque d’en perdre.

 

 

Alors que la pluie se fait rare et que la nappe phréatique s'épuise, l’activité agricole est désormais accompagnée d’une grande incertitude. "Depuis quelques années, nous avons l’impression de jouer à un jeu de hasard. On ne sait jamais si l’on va gagner ou perdre de l’argent au moment des récoltes", déplore Othmane. 

Pour réduire la part de risques, "certains agriculteurs ont troqué les cultures céréalières pour le maraîchage. Tandis que d’autres ont réduit les superficies cultivées", nous explique Mohamed, agriculteur de père en fils. Il n’est pas le seul à trouver un semblant de stabilité sous ses pieds, là où se trouvent des réserves hydriques dont l’accessibilité se complique d’année en année.  

Depuis quelques années, nous avons l’impression de jouer à un jeu de hasard

En l’absence de précipitations régulières et suffisantes, l’extraction de l’eau à partir de l’aquifère de Berrechid s’impose comme le dernier rempart contre la sécheresse, afin de préserver les récoltes et nourrir les ambitions des agriculteurs. Une pratique qui ne date pas d’hier, mais qui s’est intensifiée ces dernières années.

Bien qu’efficace à court terme, la durabilité du pompage de l’eau à partir des puits est largement remise en question, d’autant qu’elle accélère l’épuisement des réserves d’eaux souterraines, aggrave leur pollution et la salinité des sols, tout en perturbant le cycle naturel de croissance des plantes.

Des cultures en grand danger, accès inégal à l'eau

De part et d'autre d’une route provinciale à l’asphalte malmenée par le va-et-vient des camions et des machines agricoles, la différence entre les parcelles céréalières irriguées et non irriguées est saisissante. Dans un cas, le blé est verdoyant et vigoureux, affichant une croissance prometteuse.

 

Un champ de céréales irrigué

Dans l’autre, le développement des plantes se limite à de jeunes pousses clairsemées, à peine sorties de terre et déjà marquées par la sécheresse. À l’évidence, la campagne céréalière semble compromise pour les superficies en bour. Un contraste qui illustre autant la pénurie d’eau que l’accès inégal à cette ressource aussi rare que précieuse.

 

Un champ de céréales non irrigué

Le temps où le climat était favorable aux cultures pluviales semble révolu. En longeant une allée en terre rouge, bordée par des oliviers asséchés, on retrouve Othmane et ses associés, qui s’activent à enlever quelques mauvaises herbes au milieu d’un champ de petits pois.

"Depuis 2017, la situation a complètement changé. Dans cette zone, nous avons toujours eu de bonnes récoltes même en bour. Désormais, il faut irriguer les cultures afin de pouvoir assurer un rendement modeste. Cela entraîne des dépenses importantes", souffle Othmane.

Le niveau de la nappe ne cesse de baisser. Désormais, il faut pomper l’eau à plus de 100 mètres, contre une quarantaine il y a quelques dizaines années

"Nous avions l’habitude de planter les petits pois en bour, et comme disaient nos ancêtres, ils assuraient leur croissance en toute autonomie. De nos jours, il faut irriguer, traiter contre les maladies et fournir suffisamment d’engrais pour que les petits pois puissent compléter leur cycle de croissance", explique-t-il.

 

Un champ de petits pois irrigué

Autant de changements qui modifient non seulement l’atmosphère sonore, mais aussi l’odeur des champs, désormais empreints de gaz. D’ailleurs, le son des bourrasques qui balayent une zone ouverte aux vents est couvert par le bourdonnement ininterrompu du moteur de la pompe qui permet de faire remonter l’eau à partir d’un puits situé à près d’un kilomètre en amont du champ.

 

Le moteur utilisé pour pomper l'eau à partir de la nappe produit un bruit assourdissant

Le bruit assourdissant rythme le quotidien des agriculteurs, aussi bien de jour que de nuit. À tel point qu’ils ne s’en rendent compte que lorsque les pompes sont à l'arrêt. L’eau est stockée dans un bassin d’irrigation d’un peu plus de 1.200 m³, entouré de digues recouvertes de plastique. À lui seul, le bassin nécessite un investissement d’environ 30.000 dirhams.

 

Un bassin d'irrigation pour stocker l'eau de la nappe
Des dizaines de bouteilles de gaz sont entassées près du bassin d'irrigation.

Les dizaines de bouteilles de gaz butane entreposées à quelques mètres expliquent l’origine de l’odeur de gaz qui imprègne les lieux. Une installation indispensable mais qui n’offre pas une assurance tout risque. "Le niveau de la nappe ne cesse de baisser. Désormais, il faut pomper l’eau à plus de 100 mètres, contre une quarantaine il y a quelques dizaines d'années. Mais nous n’avons aucune garantie que le puits ne va pas s’assécher pendant le cycle de croissance", se plaint Othmane. 

L'inexorable recul des eaux souterraines

À l’imprévisibilité liée à la pluviométrie s’ajoute donc celle relative aux réserves d’eaux souterraines, qui poursuivent leur inexorable recul. L’Agence du bassin hydraulique du Bouregreg et de la Chaouia (ABHBC) a récemment mesuré le niveau piézométrique de la nappe de Berrechid entre 100 m et 120 m par rapport à la surface.

Depuis les années 1980, "plus de 50% des réserves de la nappe ont été épuisées", déplore la même source. Sur les vingt dernières années, la moyenne du déficit du bilan hydrique de la nappe est de 30 millions de m³/an. Désormais, il faut creuser au moins 100 m pour atteindre la ressource, contre 30 m à 40 m au milieu des années 1980, selon l’ABHBC.

 

Des bornes sont installées dans les champs pour irriguer les cultures à travers le système de goutte-à-goutte.
Un système d'irrigation goutte-à-goutte traversant un champ de betteraves.

Et la tendance n'est pas prête de s’inverser. En dépit de la généralisation des techniques d’irrigation économe en eau, à l’instar du goutte-à-goutte, lors de la saison hydrologique 2023-2024, la nappe de Berrechid a perdu environ 6 mètres, assure le ministère de l’Equipement et de l’eau.

Subventionnées, les butanes de gaz représentent la principale source d’énergie en vue d’extraire l’eau des entrailles de la terre. "On ne peut pas compter sur l’énergie solaire. C’est une solution utile dans le cas des arbres fruitiers, qui ne nécessitent pas une irrigation régulière. Mais lorsqu’il s’agit des petits pois ou de la betterave, c’est une autre histoire", assure Othmane.

 

"Ces cultures ont besoin d’être irriguées non seulement le jour, mais également la nuit, surtout lorsqu’il fait chaud", reprend-il. "C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour les bouteilles de gaz afin de faire tourner le moteur de la pompe". Or, la consommation d'énergie augmente à mesure que le niveau piézométrique de la nappe baisse.

"Nous sommes passés de 6 bouteilles de butane par jour à une dizaine, car on doit pomper l’eau encore plus profondément qu’auparavant. Cette hausse équivaut à une centaine de dirhams par jour. C’est quasiment le salaire journalier d’un travailleur agricole dont on doit se passer par manque de moyens financiers", assure notre interlocuteur. Une réalité économique qui l’oblige à mettre la main à la pâte pour ne pas réduire sa marge bénéficiaire. 

La salinité des eaux de la nappe impacte le cycle de croissance des plantes

L’eau de la nappe enlève une épine du pied des agriculteurs. Mais leur surexploitation comporte néanmoins plusieurs inconvénients. Au-delà de l’évaporation des eaux stockées dans les bassins, c’est l’augmentation de leur salinité qui est préoccupante. Un phénomène illustré par les tâches blanches qui maculent les terres ocres cultivées.

 

Mélangé aux engrais sur cette image, le sel est devenu très présent sur le sol.

En effet, lorsque cette eau salée est utilisée pour irriguer, elle s’infiltre dans les sols, y laissant des dépôts de sel, qui finissent par ruisseler à leur tour dans la nappe. Un cercle vicieux qui, avec le temps, nuit à la croissance des plantes et réduit leur fertilité. "L’eau est de moins en moins pure. Son taux de salinité a augmenté, ce qui a pour conséquence de baisser le rendement des cultures et surtout de prolonger leur cycle de production, avec tous les frais supplémentaires qu’implique cette situation", constate Mohamed.

"Les petits pois ont l’habitude d’entrer en production soixante jours après avoir été plantés. Mais à cause de la salinité, ils n’entrent en production qu’à partir de 80 jours. Il n’y a pas mieux que l’eau de pluie. Mais elle n’est malheureusement pas disponible sur demande", regrette Othmane.

Le cheptel sacrifié par manque de moyens financiers

L’eau est plus que jamais le nerf de la guerre en agriculture. Sa disponibilité détermine non seulement la qualité des récoltes, mais aussi leur valeur sur le marché. "Je vous conseille d’irriguer légèrement la surface du sol. Après des précipitations, si le sol est très sec, il peut se fissurer, ce qui compromettrait une bonne irrigation", explique à deux agriculteurs un homme qui venait de se garer à la lisière d’un champ de betteraves.

Son métier ? Acheter les récoltes de plusieurs exploitants avant même qu’elles n’atteignent leur maturité. "Si le prix est satisfaisant, on est prêts à vendre", confie le duo d’agriculteurs ayant préféré garder l’anonymat. "C’est une manière d’assurer nos arrières en cas de problème d’ici au mois d’avril, quand la betterave arrivera à maturité", ajoutent-ils.

Surtout qu’avec les caprices du climat, il faut surveiller les cultures comme le lait sur le feu. "Il y a quelques semaines, il y a eu de brefs et forts orages accompagnés de grêle. Je craignais d’avoir tout perdu tellement le phénomène météorologique était intense", se souvient l’un d’entre eux.

 

Un champ de betterave alimentaire qui entrera en production à partir du mois d'avril.

Mais si l’acheteur propose d’acquérir la récolte à un prix réduit en contrepartie de certaines charges prises en main, comme les engrais, "l’irrigation reste à notre charge", précisent nos interlocuteurs. Cette fois, aucun accord n’a été conclu, mais le potentiel acheteur reste optimiste : "Je reviendrai dans une dizaine de jours avec une proposition", lance-t-il aux deux hommes avant de s’éclipser.

Interaction sociales

Au-delà des considérations financières, la pénurie d’eau influence également les interactions sociales. En témoigne Mohamed. Le puits qu’il possède sur ses terres attire les convoitises et donne lieu à des arrangements dont il ne sort pas toujours gagnant. "L’année dernière, mon voisin m’a demandé d’irriguer ses céréales et de garder en contrepartie la moitié de la récolte. Mais au bout du compte, je ne suis pas rentré dans mes frais car les rendements étaient largement en dessous des attentes. Et le propriétaire de la terre n’a pas voulu compenser ces pertes. Je ne risque pas de refaire ce genre d’arrangement", promet-il, un brin agacé.

Les gens ne souhaitent plus posséder de bétail car les aliments sont devenus trop chers

Mohamed ne risque pas non plus d'augmenter l'effectif de ses troupeaux, qui a considérablement diminué ces deux dernières années. Et pour cause, les conséquences des difficultés financières des agriculteurs sont souvent portées par les animaux. "Les gens ne souhaitent plus posséder de bêtes car les aliments sont devenus trop chers”, souligne-t-il, en dépit de la distribution d’orges subventionnées par le ministère de l’Agriculture. 

"Moi non plus, je n’ai pas envie de perdre de l’argent", reprend-il. "Je ne fais pas l’agriculture uniquement par passion. C’est mon métier et j’ai une famille à nourrir. Alors lorsque la balance entre ce que je dépense et ce que me fait gagner le cheptel est devenue déficitaire, j’ai décidé de vendre la majorité de mon bétail, comme plusieurs autres agriculteurs. Et je pense aussi à vendre le peu de têtes qui me reste". 

Mohamed n’est pas un agriculteur excentrique qui fait exception. Tout au long de la journée, nous avons visité ce bassin agricole à plusieurs endroits. Pas une vache à l’horizon. Nous n’avons croisé qu’un seul berger qui accompagnait une dizaine de bêtes à la recherche d’un peu d’herbe. 

Une denrée aussi rare sur les terres que les nimbostratus dans le ciel. Vous savez, ces nuages épais et gris, qui produisent des précipitations continues. Ces nuages que les agriculteurs de Berrechid attendent fébrilement mais qu’ils n’ont plus vus depuis quasiment trois mois.

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