Fact checking. Non, les barrages marocains ne menacent pas la sécurité hydrique algérienne
L’accélération des rythmes de construction des barrages au Maroc, en raison du stress hydrique qui frappe le pays depuis au moins six années consécutives, ne plaît pas à l’État algérien. Selon l’Algérie, le Maroc souhaite construire un maximum de barrages près de ses frontières afin de provoquer un assèchement des ressources hydriques. Qu’en est-il réellement ? Le Maroc cherche-t-il vraiment à nuire à son voisin oriental ?

Fact checking. Non, les barrages marocains ne menacent pas la sécurité hydrique algérienne
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Amine Bouwafoud
Le 1 février 2025 à 17h04
Modifié 2 février 2025 à 9h24L’accélération des rythmes de construction des barrages au Maroc, en raison du stress hydrique qui frappe le pays depuis au moins six années consécutives, ne plaît pas à l’État algérien. Selon l’Algérie, le Maroc souhaite construire un maximum de barrages près de ses frontières afin de provoquer un assèchement des ressources hydriques. Qu’en est-il réellement ? Le Maroc cherche-t-il vraiment à nuire à son voisin oriental ?
En mars 2023, la ville de Bechar en Algérie a subi une rupture d'approvisionnement en eau potable, selon la presse algérienne. Grâce à 11 puits forés dans la nappe alentour, les robinets ont pu être alimentés un jour sur trois ou sur quatre.
Le bouc émissaire de cette situation, vous l'avez deviné, c'est le Maroc. Depuis cette date, le répertoire algérien de propagation de la haine contre le royaume s'est enrichi d'une nouvelle expression, "la guerre de l'eau".
Il faut dire que l'expression est très médiatique et, de ce fait, elle a été reprise largement en Algérie et dans quelques titres internationaux. Dans des forums internationaux consacrés à l'eau, des délégués algériens se sont relayés régulièrement depuis cette période pour dénoncer le supposé assèchement d'un cours d'eau "commun", l'oued Guir, par le Maroc.
Un article paru récemment dans le journal Orient XXI, rédigé par un ingénieur agronome algérien, a remis une couche sur le sujet, en l'habillant d'objectivité. Une objectivité scientifique ou cosmétique, chacun se fera son idée à l'examen des faits. Seuls les faits comptent.
Les accusations de l'Algérie, catalyseur de tensions et source d’illusions
Lors de la 10ᵉ Réunion des Parties à la Convention sur l'eau, tenue à Ljubljana en Slovénie du 23 au 25 octobre 2024, le ministère algérien des Ressources en eau a saisi l'occasion pour formuler des accusations officielles à l'encontre du Maroc, qui "porte volontairement atteinte à la sécurité hydrique de la région" .
"Les régions occidentales et sud-occidentales de notre pays (l’Algérie) subissent les effets négatifs des pratiques de l'État voisin du Maroc, qui perturbent et détruisent les eaux de surface transfrontalières, entraînant des catastrophes environnementales qui ont conduit, en particulier, à la détérioration de la qualité de l'eau du barrage de Hammam Boughrara dans la wilaya de Tlemcen en raison de la pollution de l'eau qui y arrive depuis le territoire marocain, ainsi qu'à une forte baisse de l'approvisionnement en eau provenant de l'oued Ghir (ou Guir) vers le territoire algérien en raison des barrages construits du côté marocain de la frontière, ce qui a entraîné un assèchement systématique du barrage Djorf Torba pendant une longue période sur le territoire algérien", accuse le ministre algérien.
De son côté, l’auteur de l’article d’Orient XXI, qui se présente comme un ingénieur agronome – et qui, par conséquent, devrait être conscient de l’impact des changements climatiques sur l’ensemble de la région –, estime que le problème réside dans le barrage de Keddousa. Selon lui, ce barrage a réduit le débit de l’Oued Guir après son inauguration en 2021.
Quelle est la réalité de la situation dans le barrage de Djorf Torba?
Si l’on prend en compte la population, malgré la grande superficie de l’Algérie, l’urbanisation est concentrée dans la frange méditerranéenne, contrairement aux zones du sud qui couvrent 89 % de la surface du pays mais qui représentent une densité urbaine de moins de 20 habitants par km².
Mis en service en 1973, le barrage algérien de Djorf Torba, d’une capacité de 365 millions de mètres cubes, est l’unique barrage desservant la région de Béchar. Dans l’ouest algérien, le plus grand barrage est celui de Gargar, avec une capacité de 450 millions de mètres cubes. Quant au barrage de Hammam Boughrara, mentionné par le ministre algérien, il dispose d’une capacité de 177 millions de mètres cubes.
Le barrage de Djorf Torba est alimenté par l’Oued Guir qui prend sa source dans le Jebel Timjnatine dans la région marocaine de l’Oriental. L’assèchement depuis quelques années, avant la mise en service du barrage marocain, a causé la mort de milliers de poissons, provoquant une vraie catastrophe, une information vérifiée et qui date du mois de juillet de l’année 2022.
L’examen des images satellitaires du barrage Djorf Torba montre à différentes dates que son niveau connait périodiquement des années de sécheresse où plus du tiers de sa capacité disparait, notamment dans les années de sécheresse, avant qu’il reprenne rapidement son volume normal.
L'hypothèse d'un impact des barrages marocains sur le volume du barrage de Djorf Torba est à exclure. En effet, si cette cause était avérée, le barrage de Djorf Torba n'aurait jamais retrouvé son volume normal après la construction du barrage de Kedoussa au Maroc.
Une photo satellitaire prise au lendemain du discours du ministre algérien, et la situation maintenue jusqu'à ce jour, démontrent que la réalité est différente. Cette observation réfute clairement l'idée d'une influence des ouvrages marocains et suggère d'autres facteurs potentiels à considérer.

La cause la plus évidente de la diminution des ressources hydriques dans les barrages est l'évapotranspiration. Ce phénomène, accentué par le réchauffement climatique, peut rapidement réduire les réserves d'un barrage, et son impact s'est intensifié au cours des dernières années dans l'ensemble du bassin méditerranéen, notamment en Espagne, en Italie, en France et de manière particulièrement marquée au Maroc.
Le barrage Al Massira, au Maroc, est construit sur l'Oum Rabii, un des plus grands fleuves du pays. Bien que le cours d'eau soit toujours actif, les réserves du barrage n'ont pas pu se remplir et ne dépassent pas 2% de sa capacité maximale, même dans des conditions optimales. Peut-on, dans la même logique que l'argument algérien, considérer que le barrage Al Massira est asséché à cause des barrages situés en amont ?
Dans le contexte du bassin de l'Oum Rabii, c'est avant tout le manque de précipitations depuis plusieurs années qui empêche le remplissage des barrages. La dernière année pluvieuse significative au Maroc remonte à 2018, date à laquelle les barrages ont pu dépasser la moitié de leur capacité. Depuis, ce n'est plus le cas.
En revenant au barrage de Djorf Torba, l’auteur de l’article explique que Béchar a besoin d'approvisionnement hydrique non seulement pour l’eau potable et l’irrigation agricole, mais aussi pour des raisons industrielles liées à la construction d’une grande unité de traitement des minerais de fer provenant de la mine de Gara-Djebilet. Entre parenthèses, cette mine est censée être exploitée par les deux pays à 50/50 selon une convention bilatérale, un accord jamais respecté par Alger. En même temps qu'il revendique de l'eau pour la boisson, l'agriculture et l'industrie de Bechar, l’auteur, de profession agricole, s’oppose aux projets agricoles des habitants des provinces d’Errachidia et de Figuig.
Depuis plus de six années, la situation hydrique au Maroc reste préoccupante, en particulier dans les régions orientales où l’agriculture oasienne constitue en grande partie la principale source de subsistance pour les habitants. Face à cette crise, les autorités marocaines s’efforcent de mettre en place des solutions durables, non pas pour attaquer l’Algérie, mais pour garantir l’accès à l’eau potable pour une population qui dépasse 2,2 millions d’habitants dans la région de l’Oriental seulement.
Le ministre algérien a également mentionné le barrage de Hammam Boughrara, situé près de Maghnia, et construit sur l'Oued Tafna. Contrairement au barrage de Djorf Torba, l'Oued Tafna prend sa source dans le Djebel Merchich, près de Sebdou en Algérie, et non au Maroc. La seule relation avec le Maroc se fait via l'Oued Isly, un petit affluent de l'Oued Tafna. Cette accusation, qui n'est étayée par aucune preuve scientifique, soulève une question : comment l'Oued Isly, qui alimente des centaines de parcelles du côté marocain, pourrait-il être pollué par le Maroc en vue de nuire à l'Algérie ?
Le Maroc est-il vraiment coupable ?
L'Algérie compte environ 81 barrages sur son territoire, capables de retenir jusqu'à 8,3 milliards de m³ d'eau. Si l'on considère uniquement les barrages ayant une relation avec le Maroc, on dénombre deux ouvrages, dont la capacité combinée n'excède pas 500 millions de m³.
Outre le barrage de Djorf Torba, un autre barrage, sans aucun lien hydrique avec le Maroc, a également été asséché jusqu’à la dernière goutte. Il s’agit du barrage Ben Khedda, situé près de la ville de Tiaret et qui était construit par la France en 1936.
Son assèchement a d’abord entraîné une dégradation de la qualité de l’eau potable distribuée, puis la suspension de l’approvisionnement en eau potable, provoquant ainsi des protestations violentes de la part de la population de Tiaret.

Dans un article du journal Le Monde consacré à cette "crise" , le journal a recueilli l'avis d'un climatologue spécialisé qui a expliqué que la sécheresse extrême a bel et bien débuté en 2022, et ce en raison du dérèglement climatique :
"Cette sécheresse extrême, qui a débuté vers 2022 et qui n’a jamais connu d’interruption, compromet gravement l’approvisionnement en eau, non seulement en Algérie, mais aussi en Tunisie, au Maroc, en Sardaigne et en Sicile" , explique David Feranda, climatologue au CNRS de France.
Il faut enfin préciser que les ressources en eau mobilisées en Algérie ne sont assurées qu'à 33% par les barrages. La majorité de l'approvisionnement repose sur les eaux souterraines, l'Algérie disposant d'une gigantesque nappe fossile dans le désert, connue sous le nom du "système aquifère du Sahara septentrional" qui compte 5.000 points de forage répartis sur son territoire.
L'existence de différends entre pays voisins est chose naturelle et courante dans le monde. Mais il s'agit de savoir gérer ces différends d'une manière pacifique et en se fondant sur les principes du droit international. La propagation de la haine et de la lutte armée rendent le recours à ces mécanismes extrêmement difficile.
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