
Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

France-Algérie : le torchon brûle
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Le 17 janvier 2025 à 16h20
Modifié 17 janvier 2025 à 16h20Les relations entre la France et l’Algérie, si particulières et complexes, oscillent sans cesse entre enjeux de politique intérieure et diplomatique. Entre tensions historiques, manipulations actuelles et inertie française face à ces provocations, l'auteur analyse les dessous d’une relation qui reste marquée par un passé colonial omniprésent et un présent fait de défis politiques et sociaux.
L’ancien ambassadeur français à Alger Xavier Driencourt avait bien résumé les relations qu’entretient son pays avec l’Algérie, en soulignant à juste titre leur particularité : elles relèvent à la fois de la politique intérieure et extérieure.
L’implication récente des autorités algériennes dans la vie politique française, notamment par l'intermédiaire d'influenceurs issus de la diaspora, n'est pas une première et lui donne entièrement raison. En règle générale, un pays a recours à sa communauté à l’étranger pour améliorer son image, résoudre un différend, se rapprocher davantage de la société où elle vit, dans la perspective de promouvoir les liens entre les deux nations. Ce n’est jamais ce chemin qu’empreinte le pouvoir algérien.
On se demande donc pourquoi les autorités françaises laissent impunément ces dérives s’opérer sous leurs yeux, sans réagir fermement face à l’importation des problèmes algériens sur leur propre sol. C’est la récente alerte lancée par l’exilé politique algérien Chawki Benzahra qui a attiré l’attention des autorités françaises sur ces dangereuses dérives. Selon lui, le régime algérien mène une campagne de déstabilisation contre la France qui s’est accentuée depuis le rapprochement avec le Maroc. Pour ce jeune Algérien de 33 ans, qui a fui l’Algérie pour se réfugier en France, tout ceci n’est pas le fruit du hasard, mais la résultante d’une politique délibérée de la part d’Alger. Il a fait remarquer qu’on trouve les mêmes éléments de langage chez les officiels algériens que dans les déclarations de certains influenceurs, dont les profils sont une menace pour la sécurité en France.
Chawki ajoute que cette campagne de déstabilisation dangereuse, lancée depuis Alger, vise à créer des désordres dans l’hexagone. Selon lui, les autorités algériennes exploitent certaines fragilités, tant au sein de la société française que de la diaspora algérienne, pour mener une campagne de vengeance contre la France. La raison de cet excès de fièvre n’est pas due au hasard, estime-t-il, mais à une réaction au récent rapprochement avec le Maroc. Cette politique délibérée d’Alger de s’immiscer directement dans les affaires relevant de la souveraineté française n’est pas une première, mais elle est certainement la plus frontale vu le contexte politique par lequel passe la France.
En prenant conscience de ces alertes et de la dangerosité des messages des influenceurs algériens, les autorités françaises ont procédé à des arrestations urgentes et sont allées jusqu’à l’expulsion de l’un des plus virulents d’entre eux, Boualem Naman. Cet Algérien de 59 ans, résidant à Montpellier, s’est fait connaitre, par le passé, par certains propos brutaux contre les Marocains. Cette fois-ci, son expulsion visait à mettre fin à ses nuisances et à ses activités provocantes. Paris voulait ainsi faire de son cas un avertissement à tous les autres, susceptibles d’être tentés de suivre son exemple ou d’être des menaces pour la sécurité.
En arrivant à Alger avec un passeport algérien valide, les autorités du pays le renvoient de nouveau en France où il est depuis en détention. Cette énième provocation a fait réagir la classe politique française qui n’a pas compris comment un pays pouvait expulser un de ses propres citoyens, non désiré en France et sans fournir un argument valide. Par ce geste, l’Algérie cherche à humilier la France, s’est agacé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Il a ajouté que les autorités de son pays n’ont pas compris sur quelle base Alger s’est appuyé pour refuser d’accueillir l’un des leurs, préférant le voir détenu en France que libre en Algérie.
De son côté, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, dans une tribune publiée dans le journal Le Figaro, est allé dans le même sens. Il a demandé la dénonciation de l’accord bilatéral de 1968 qui lie la France à l’Algérie et qui régit toujours les règles de séjour applicables aux Algériens. Cet accord, qui favorise le séjour des Algériens en France par rapport aux autres nationalités, est vu comme un appel d’air aux nombreux jeunes Algériens pour migrer en masse vers la France. Plusieurs personnalités politiques françaises se sont prononcées pour demander l’abrogation, dans les meilleurs délais, de cet accord devenu anachronique et inadapté aux réalités françaises d’aujourd’hui.
C’est ce que Gérard Darmanin, ministre de la Justice, lui-même descendant d’Algériens, réclamait. Il proposa en plus l’abrogation de l’accord de suppression de visa pour les détenteurs de passeports diplomatiques algériens qui séjournent par milliers et circulent impunément en France, sans avoir une fonction diplomatique. Pour lui, toucher ces dirigeants, ou tout au moins une grande partie de ceux qui sont en position de décision, lui parait plus intelligent et plus efficace, et peut se déployer rapidement. Il pense qu’une telle décision, même si elle est symbolique, aura des effets sur ceux qui dirigent l’Algérie.
Cependant, l’arrestation arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est venue compliquer davantage la situation. Âgé de 75 ans et malade, cet écrivain est emprisonné pour ses déclarations jugées pro-marocaines qui n’ont pas plu aux dirigeants algériens. En réalité, les militaires qui gouvernent le pays prennent leur revanche tardive après l’exfiltration de la journaliste franco-algérienne Amira Bouraoui en février 2023. Sur le cas Sansal, le président Tebboune, dans son discours à la nation, s’est adressé à la France en des termes peu diplomatiques et discourtois. Vous nous envoyez un imposteur qui ne connait pas son identité et ne connait pas son père, dira-t-il. Comment un chef d’État peut-il traiter un de concitoyens de la sorte ?
La réponse officielle de la France à cette sortie de Tebboune ne tarda pas. Lors de son discours devant les ambassadeurs au début de ce mois de janvier, le président Macron s’est arrêté sur l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Sansal. Il ne s’est pas appesanti sur le reste des relations bilatérales qui font désespérer une grande partie de la classe politique française. L’Algérie que nous aimons tant, dira-t-il, et avec laquelle nous partageons tant d’enfants, entre dans une histoire qui la déshonore, en empêchant un homme gravement malade de se soigner ; ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est. Ce langage châtié plaira à coup sûr aux ambassadeurs qui l’écoutaient, mais il ne pénètre jamais au cœur des responsables algériens qui ne s’épanouissent que par les disputes.
On se demande dès lors comment un pays comme la France, qui a façonné l’Algérie et la personnalité algérienne, culturellement et géographiquement, n’a pas encore compris la psychologie complexe de ses dirigeants. Dès l’annonce de la demande de Macron pour libérer Sansal, le ministre des affaires étrangères algérien Ahmed Attaf s’est épanché dans un communiqué, dénonçant l’immixtion éhontée de Paris dans les affaires internes de l’Algérie. À cela se sont ajoutées les menaces et la violence verbale, actionnées depuis Alger, de quelques éléments de la communauté algérienne vivant en France. L’expulsion de l’un des plus virulents d’entre eux vers l’Algérie et son retour le même jour en France fut une séquence éprouvante et humiliante pour Paris.
Dans les faits, Alger a bien phagocyté la société française par des institutions mises à son service, dont deux sont importantes. La Fédération France-Algérie et la grande mosquée de Paris qui sont les deux bras dans cette mobilisation. La fédération, qui du reste n’a jamais caché son soutien actif au polisario, a reproché à l’État français les poursuites judiciaires des influenceurs algériens. Dans l'un de ses communiqués, on pouvait lire : "Une nouvelle fois, l’histoire semble se répéter. Les événements tragiques du 17 octobre 1961 durant lesquels des sympathisants du FLN ont été réprimés par la police trouvent aujourd’hui une résonance glaçante dans l’acharnement et la chasse d’Algériens".
Quant à la grande mosquée de Paris, que préside l’Algérien Chems-eddine Hafiz, avocat de métier et surtout un proche du pouvoir algérien, elle est déjà dans le point de mire des autorités françaises pour le rôle néfaste de sa direction auprès de la communauté musulmane. Hafiz qui a gardé le silence pendant un temps, est sorti de sa réserve pour qualifier, à travers un communiqué daté du 6 janvier, son concitoyen Chawki Benzahra d’obscur blogueur. Il y dénonçait une campagne calomnieuse intolérable à l’encontre de la mosquée. Or, à y voir de plus près, Chawki ne dénonçait pas tant la mosquée que le rôle que le recteur lui-même joue au profit d’Alger, et au détriment de la sécurité en France. Dans sa lancée, le recteur s’en est pris également à l’ancien ambassadeur français à Alger Xavier Driencourt connu, écrit-il, pour son hostilité aveugle contre le pays où il a servi.
Face à ces graves accusations, Benzahra et Driencourt répondent d’une même plume au recteur de la mosquée pour dénoncer cette fatwa, selon leur expression. Nous avons relevé que ce communiqué hostile ne mentionne aucunement le sort de votre double compatriote français comme vous, algérien comme vous, Boualam Sansal, lui répondent-ils. Puis d’ajouter : son sort semble peu vous importer, occupé que vous êtes par vos multiples activités politiques. Les deux signataires rappelaient en outre au recteur que Sansal était de la même compagnie, l’Académie des sciences d’outre-mer, et que de ce fait il est en principe son confrère. Les deux finissent enfin par dénoncer l’implication directe du recteur dans la campagne de déstabilisation menée par l’Algérie en France.
Les autorités algériennes peuvent donc crier au complot et dénoncer ce qu’elles appellent les lobbys marocains et sionistes pour camoufler leurs échecs et justifier le fiasco de leur politique et de leur diplomatie. Elles peuvent dénoncer la traîtrise du président Macron qui, durant tout son premier mandat, a tenté ce qu’aucun autre président français n’avait fait avant lui, pour se rapprocher davantage d’Alger. Tous les présidents français, de Charles de Gaulle à Macron, ont peiné pour apaiser les douleurs et aller de l’avant, espérant laisser aux historiens le rôle de mieux éclairer ce passé commun sombre. À chaque fois, les responsables algériens, par leurs attitudes immatures, trouvent l’excuse pour raviver les blessures et les animosités, et pour dire à leur peuple qu’on tient toujours tête à l’ancien colonisateur.
Les tensions politiques entre la France et l’Algérie ont accompagné la décolonisation de cette dernière, mais elles ont malheureusement perduré depuis l’indépendance. Au lieu que cette émancipation serve à apaiser les esprits et à améliorer les relations entre les deux rives, l’exaltation excessive de cette guerre de libération permanente a fait de la France l’éternel ennemi. Beaucoup de pays ont vécu dans leurs chairs les affres de la domination, à l’instar du Vietnam ou de la République Démocratique du Congo, mais ils ont eu la sagesse de les dépasser pour se reconstruire sainement, sur de bonnes bases, et loin de tout esprit revanchard et victimaire. Cette posture, au lieu de les affaiblir, les a, tout au contraire, fait grandir, aux yeux d’eux-mêmes et surtout aux yeux des autres.
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