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Hassan Hami

Ancien diplomate, docteur en sciences politiques.

Les élections présidentielles américaines: Le bon sens, l’évidence et le jackpot

Le 15 août 2024 à 16h15

Modifié 7 novembre 2024 à 10h34

Avant même le retour de Donald Trump sur la scène électorale, Hassan Hami nous livrait une analyse aiguisée des dynamiques politiques américaines et de leur répercussion sur le monde. Publiée avant la victoire de Trump, sa chronique mérite aujourd’hui une nouvelle lecture. Une analyse visionnaire à redécouvrir pour comprendre les défis actuels de la géopolitique mondiale.

Je suis lève-tôt. Ce jour-là, je décide de prendre mon petit-déjeuner dans un café-jardin non loin d’où j’habite pour casser la routine de mon régime trop végétarien. J’ai bien fait, car ce que j’apprends sur les élections présidentielles américaines dépasse toutes mes attentes. Les analyses font temporairement éclipser la situation tragique dans la bande de Gaza. Des clients, en famille pour la plupart, abondent dans l’analyse et la conjecture.

De belles synthèses émergent, qui feraient rougir les commentateurs américains les plus futés. Et ce n’est pas une boutade. Moi, qui ai passé quelques années à Washington D.C., n’en reviens pas. Peu de temps après, deux événements se produisent : la tentative d’assassinat de l’ancien président Donald Trump, candidat pour un nouveau mandat, et la lettre de renonciation du président Joe Biden à briguer un deuxième mandat consécutif. Là aussi, les commentateurs marocains élaborent des scénarios aussi fantaisistes que plausibles.

Sur les réseaux sociaux, la lettre de renonciation bat tous les records de circulation et de partage – et ce, dans les trois langues véhiculaires du pays. Ensuite, une avalanche d’articles fait le tour, inondant l’entendement des experts et des amateurs. Toutes les analyses convergent vers une victoire quasiment acquise du candidat Trump.

Les commentateurs les plus prudents, dont je fais partie, se gardent de l’évidence, car elle est synonyme de platitude. "Le bon sens est contre la science", se plaisait à répéter l’un de mes anciens professeurs. Est-ce que je doute de l’issue de ces élections ? Loin de là, mais j’avance des arguments selon lesquels le système politique américain est si complexe, si hermétique, malgré les apparences, que tout peut basculer d’un jour à l’autre. Quels sont mes arguments?

Equilibriste, épouvantail ou Weakest Link ?

Premièrement, les élections américaines sont perçues en termes d’impact et de retombées sur les échiquiers politiques nationaux et internationaux. Aux États-Unis, les électeurs pensent à 90 % dans l’ordre suivant : situation économique, sociale et politique. Les Américains ne s’intéressent guère à la politique étrangère de leur pays.

Il y a certes eu des exceptions dans le passé (Première et Deuxième Guerres mondiales, guerres de Corée, du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, les attentats du 11 septembre 2001), qui ont relativement influencé les résultats des élections présidentielles.

Dans le reste du monde, il y a une combinaison de facteurs externes et internes pour évaluer les élections américaines. Les alliances nationales sont scrutées à la loupe pour se repositionner face à la nouvelle administration, et les prises de position en politique étrangère sont adaptées pour gagner du temps – du moins pour les deux premières années de mi-mandat.

Deuxièmement, la recomposition du champ politique relance à chaque fois le débat sur l’équilibre des pouvoirs entre la Maison-Blanche et le Congrès (Checks and Balances). Ces deux institutions sont, sinon à la merci des grands lobbies (complexe militaro-industriel, intérêts diffus, forces libérales émergentes, société civile, etc.), du moins en interaction constante avec ces lobbies du mieux qu’elles peuvent. Au sein de ce réseau d’intérêts, il y a ce que l’on appelle schématiquement "l’État profond", où siègent une partie des intérêts mentionnés.

Troisièmement, aux États-Unis, il existe un gouffre entre la culture politique américaine et l’humeur du public. L’humeur politique doit être distinguée de la structure mentale dans ce contexte particulier. Bien que l’électeur américain soit fidèle à son affiliation à l’un ou l’autre parti (Démocrate ou Républicain), les retournements de situation sont fréquents, et cela ne concerne pas seulement les États Swing.

Quatrièmement, dans ce contexte, si Kamala Harris est confirmée comme candidate lors de la convention nationale du Parti démocrate (19-22 août 2024), la culture politique et l’humeur du public seront des éléments d’analyse à observer scrupuleusement.

En effet, bien que la culture politique accepte généralement que des femmes occupent des postes de responsabilité de haut niveau (Administration, Congrès, et secteur privé), l’humeur du public n’est pas encore prête à accepter qu’une femme soit locataire de la Maison-Blanche, et encore moins qu’un citoyen d’origine latino-américaine le soit. La parenthèse Barack Obama n’est pas prête à se répéter dans un avenir proche.

Cinquièmement, Kamala Harris est une femme issue des minorités. Cela représente pour elle à la fois une opportunité et un handicap. Mais il est certain que le genre et le statut social sont moins séduisants pour un électorat qui se tourne vers les détenteurs du vrai pouvoir aux États-Unis. Ces derniers craignent les candidats perçus comme trop libéraux, avec un penchant plus à gauche que souhaité. Cela semble être le cas de Kamala Harris.

Sixièmement, lors des élections présidentielles de 2016, le facteur qui a fait échouer la candidature d’Hillary Clinton était la réticence à voir une femme accéder à la présidence. Certes, il y a eu des interférences étrangères dans la manipulation de l’opinion publique, ainsi que certaines positions en politique étrangère de l’administration Obama qui n’étaient pas du goût de certaines sphères du complexe militaro-industriel. Cependant, le facteur genre a pesé dans la balance.

Septièmement, le destin de Kamala Harris est similaire à celui d’Hillary Clinton. Toutes deux ont été respectivement vice-présidente et Secrétaire d'État et ont servi sous la présidence de leaders omniprésents, leur déléguant peu de pouvoir décisionnel. De plus, elles ont été perçues comme la continuité d’une administration dont la majorité des Américains, sous l’instigation (ou la manipulation) des intérêts diffus, souhaitait le changement. Par ailleurs, la stratégie des outsiders sur l’échiquier politique américain semble avoir fait son temps.

La politique étrangère n’est pas le plat préféré des électeurs américains

Si les questions de politique intérieure demeurent le facteur le plus déterminant dans les élections présidentielles de 2024, l’influence de la politique étrangère ne peut être totalement négligée.

Huitièmement, le style de Donald Trump durant son mandat (2016-2020) était caractérisé par la tendance à prêcher le faux pour obtenir le vrai. Pendant cette période, les États-Unis ont été militairement moins interventionnistes. Entre les approches isolationniste, attentiste et interventionniste, le Président Trump avait opté pour un dosage entre ces trois approches en fonction du contexte et de l’importance des dossiers traités.

Neuvièmement, si Donald Trump est réélu, il pourrait s’attaquer au dossier ukrainien, aux relations avec les Européens, ainsi qu'aux rapports tumultueux avec la Russie et la Chine. Cependant, il sera probablement moins interventionniste que ce que certains experts pourraient anticiper. L’Ukraine et la Russie seront invitées à s’entendre sur la base de la nouvelle réalité sur le terrain. Les États-Unis n’ont aucun intérêt à voir la Russie s’effondrer. Les pressions sur l’OTAN reprendront, mais sans permettre à la Russie de se régénérer.

Dixièmement, les alliés européens auront du pain sur la planche. Ils n’ont pas correctement joué leur partition. Flirter avec Moscou jusqu’à certaines limites aurait été toléré, mais les Européens sont allés un peu trop loin. Ils ont nourri l’espoir de conserver une certaine indépendance, ce qui a échoué.

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne était prévisible, mais elle n’aurait pas dû bouleverser l’architecture européenne. Si l’indépendance énergétique reste une revendication légitime, la manière dont les Européens l’ont gérée a été moins réussie. D’abord vis-à-vis de la Russie, puis vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, du Turkménistan et du Qatar, pour ne citer que ces pays.

Soumis au diktat américain et aux sollicitations des autres producteurs, les Européens ont tout perdu au change. Ils ont aggravé leur situation en sollicitant la Chine à un moment où ils auraient dû marquer une pause. Il est certain que l’objectif de l’administration sortante a été de privilégier les producteurs américains et le contrôle à distance du marché de l’énergie, mais ces derniers, pour des raisons techniques et logistiques ont été incapables de respecter totalement les engagements qu’ils avaient pris en échange. Or, tout le monde s’accorde actuellement sur le fait que le marché du gaz naturel ne devrait plus se soumettre à l’impératif de la compétition classique. Il devrait être géré en fonction d’une certaine forme de parité. Cette parité est la seule à même de permettre la relance économique et l’instauration d’une interdépendance bénéfique, même en acceptant une certaine forme de hiérarchie parmi les acteurs.

Onzièmement, le Moyen-Orient ne recevra pas l’importance qu’il avait eue durant les années 2016-2020. Certes, les séquelles de la guerre à Gaza auront un certain impact, mais pas au point d’ébranler la conviction des décideurs américains de soutenir Israël, quels que soient ses agissements dans les territoires occupés. La crainte de voir le Moyen-Orient sombrer dans une guerre généralisée à la suite de l’assassinat d’Ismail Haniya, chef du mouvement Hamas à Téhéran, le 31 juillet 2024, est compréhensible ; cependant, aucun pays de la région, et encore moins les grandes puissances, n'est prêt à faire la guerre pour les Palestiniens.

La vraie crainte serait de voir la bande de Gaza soit réoccupée par Israël, soumise à une influence égyptienne en étroite coopération entre Le Caire et Tel Aviv, soit, comble d’ironie, devenir un cinquième territoire arabe tombé directement ou indirectement entre les mains de Téhéran.

Si une percée est à envisager au Moyen-Orient, ce sera dans la logique de l’offre faite lors du premier mandat de Trump (2016-2020). Pour la forme, des pressions seront exercées pour amener Tel Aviv à accepter le principe de deux États. Ces pressions seront présentes, mais pas dans la même proportion que celle exercée par Georges H. Bush à la veille de la Conférence de Madrid sur la paix au Moyen-Orient en 1991.

Treizièmement, les attentes dans le monde arabe seront déçues. Pour se consoler, les classes politiques resteront friandes de la théorie du complot. On verra sans doute les mêmes commentateurs ressasser l’histoire de Sykes-Picot, la théorie du changement de régime, ou encore l’idée d’un nouveau printemps en voie de concrétisation.

Quatorzièmement, le dossier nucléaire iranien ne sera pas une priorité, dans la mesure où les Iraniens savent à quoi s’en tenir avec un président qui joint la parole à l’action. D’autant plus qu’ils sont eux-mêmes en période de recomposition du champ politico-religieux, ce qui les pousse à éviter les erreurs fatales.

Une chose est certaine : la marge de manœuvre iranienne dans les affaires arabes sera très réduite cette fois-ci (à l’exception de l’hypothèse d’une suzeraineté déguisée de Gaza). Les Iraniens sont conscients que si Donald Trump arrive à la Maison Blanche, il privilégiera la diplomatie dans un premier temps avant d’envisager d’autres options. Trump sera moins interventionniste que ne le laissent entendre certains observateurs, mais il sera très ferme et intransigeant si les limites tolérées sont dépassées.

Pour l’instant, l’Iran peut s’enorgueillir d’avoir sauvé les meubles alors qu’il y a quelques mois, il était sur le point de perdre son influence dans la région. Cela aurait pu se produire si la stratégie de résolution des conflits gelés et endémiques dans la sous-région avait été mise en œuvre. De même, les choses auraient radicalement changé si la politique de démantèlement ou de mise en veille des mouvements parias et des sociétés privées paramilitaires (créés par des centres de décision étatiques) avait été menée à bien. Téhéran aurait vu ses bras avancés dans certains pays arabes amputés ou définitivement neutralisés.

L’Iran a sauvé les meubles en participant à distance au déclenchement de la guerre à Gaza et en donnant les moyens aux Houthis au Yémen de renforcer leur envergure belliqueuse. Il l’a fait dans la même logique qui a permis de sauver le régime syrien dans la foulée du Printemps arabe en 2012.

Quinzièmement, la lutte contre le terrorisme restera toujours une priorité pour le président élu. Le terrorisme est une réalité avec laquelle il faut compter, mais c’est aussi un prétexte permettant aux États-Unis de brandir la menace de sanctions contre des États parias et des "États ascenseurs".

Seizièmement, demain, j’irai prendre mon petit déjeuner dans le même café-jardin. Certains, comme l’ont fait des experts des affaires maghrébines, diront que le Maroc a tout à gagner si Donald Trump est triomphalement réélu. Mais tout autre candidat américain, quelle que soit sa couleur politique, pourrait en faire autant.

Dix-septièmement, les gens ressentent une inquiétude au sujet de la question du Sahara marocain. Il est temps de mettre un peu d’eau dans leur vin. La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara par les États-Unis est une réalité depuis décembre 2020. Elle ne constitue pas un enjeu de politique intérieure pour les États-Unis. N’en déplaise aux fossoyeurs de service, cette reconnaissance n’est pas un cadeau fait pour les beaux yeux des Marocains. Elle répond à une logique géopolitique et aux transformations que connaît le système international. Les États-Unis, ainsi qu’un grand nombre de pays à travers le monde, réalisent que le Sahara est une question existentielle pour le Maroc et prennent les décisions qui s’imposent en conséquence.

Toutefois, il faut garder à l’esprit que les États-Unis sont une grande puissance qui contrôle un système international devenu encore plus unipolaire, malgré le lifting géopolitique introduit dans sa structure. Le dosage et le rééquilibrage au sein des différents sous-systèmes régionaux ne permettent pas encore de délocaliser (ou cogérer) la sécurité mondiale comme cela avait été envisagé dans les années 1990-2000.

Dix-huitièmement, de ce fait, les autres pays maghrébins seront invités à revoir leur feuille de route face aux changements en cours. Ils ne seront pas condamnés, mais plutôt encouragés à prendre le train en marche. Oui, exactement, à condition de commencer par faire le ménage chez eux.

Changement de régime ? Non, adaptation et reconnaissance que les rapports de force dans la sous-région sourient aux acteurs qui se développent tranquillement. Le Maroc en fait partie. Il entretient cette force tranquille, en dépit de l’adversité dont il est l’objet depuis des décennies.

En somme, les élections présidentielles américaines tiendront en haleine les commentateurs étrangers, mais surtout les décideurs dans les quatre coins du monde. Cependant, si Donald Trump est élu, il aura déjà à cœur de travailler pour un deuxième mandat 2024-2028 en se concentrant sur la politique intérieure et en s’intéressant moins à la politique étrangère.

Donald Trump aura à cœur de prendre sa revanche sur ceux qui ont tant œuvré à le discréditer – et même à lui créer des ennuis judiciaires sans fin. Il le fera avec moins de véhémence, mais il le fera quand même.

Et si Kamala Harris (ou tout autre candidat démocrate) venait à déjouer les pronostics ? En politique, tout est possible. Mais le possible n’est pas un vœu pieux. En tout état de cause, le prochain locataire de la Maison-Blanche donnera la priorité aux questions de politique intérieure durant les deux premières années de son mandat. Les États-Unis auront besoin de réparer l’étiolement d’une Amérique qui, parfois, ne sait plus où donner de la tête.

Quant à la politique étrangère, il ne faut pas négliger non plus que les dirigeants des autres puissances rivales des États-Unis ne sont plus à la fleur de l’âge, ni physiquement, ni politiquement. Eux aussi sont appelés à passer la main ou à concilier les exigences de leurs "États-profonds" avec les transformations d’un système international qui ne cesse de donner du fil à retordre aux géopolitologues les plus avisés.

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