
Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

L’Union-européenne dans tous ses États
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Le 6 décembre 2024 à 15h07
Modifié 6 décembre 2024 à 15h07L’Allemagne et la France, tandem qui constitue le cœur de l’Union européenne, est en grave crise politique qui impacte l’ensemble de l’Union. Le Chancelier allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, a dissolu sa coalition en poussant en novembre dernier son ministre des Finances Christian Lindner, leader du parti libéral FDP, à la démission, et en appelant à des élections législatives anticipées pour février. En France, la situation n’est pas meilleure non plus. Après une motion de censure, le Premier ministre Michel Barnier a fini, lui aussi, par jeter l’éponge, plongeant le pays dans l’incertitude.
La zone de turbulence que traversent ces deux pays clés de l’Union, aura un impact certain sur l’ensemble européen que préside, pour un second mandat, Ursula Von der Leyen. La guerre en Ukraine et ses conséquences politiques et économiques, le retour tonitruant de Donald Trump à la tête des États-Unis et la montée en force de la Chine inquiètent les européens au plus haut degré. Tous ces indicateurs, et bien d’autres, participent à ce que les européens eux-mêmes qualifient de décrochage politico-économique de l’Union.
Ce n’est pas en se rendant en Chine, comme l’a fait cette semaine la ministre allemande des Affaires étrangères Alannela Baerbock que, par magie, tous les défis économiques qui se posent à l’Union seraient relevés face à ce géant asiatique. Nous ne voulons pas que d’autres violent les règles internationales au détriment de l’industrie allemande, a-t-elle affirmé, reprochant ainsi à la Chine ses subventions pour les voitures électriques. Pékin avait, pour sa part déjà saisi l’OMC, suite à la décision européenne, jugée protectionniste, d’imposer des surtaxes sur les voitures chinoises.
Alors que chaque pays européen défend, comme il peut, ses propres intérêts, le Parlement européen a avalisé le 27 novembre dernier le deuxième mandat de l’allemande Ursula Van der Leyen comme présidente de la Commission. L’exécutif proposé a obtenu 370 voix en sa faveur, contre 282 et 36 abstentions. Suite à cette adoption, Der Leyen a souligné que l’Europe n’a pas de temps à perdre et devrait se retrousser les manches et aller de l’avant. Elle a érigé la compétitivité de l’Union comme la priorité absolue, pour combler le fossé avec les Etats-Unis et la Chine.
Van der Leyen a déjà proposé, après moult négociations, les noms et les profils de la nouvelle équipe qui va l’accompagner pendant ce second mandat. Liste qui devrait être avalisée incessamment par le Parlement européen. Parmi les nouveaux visages figure l’ancienne Première-ministre de l’Estonie et présidente du parti de la Réforme de l’Estonie, Kaja Kallas. Fille d’un ancien Premier-ministre dont la famille a été déportée en Sibérie, Kallas aura la charge des affaires étrangères et de la sécurité de l’Union.
L’ancien chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, supervisera le portefeuille de la prospérité et de la stratégie industrielle, et la socialiste espagnole Teresa Ribera prendra en charge la transition écologique. L’Italien Raffaele Fitto, proche de Georgia Meloni, s’occupera quant à lui de la cohésion et du développement régional. Meloni espérait un poste plus revalorisant pour l’Italie mais, n’ayant pas soutenu la réélection de l’Allemande, l’octroi de ce poste s’apparente bien à un lot de consolation.
Ce ne sont là que quelques nominations dans cette nouvelle architecture voulue par Van der Leyen. Il lui a fallu deux mois de dures tractations qui ont fini par lasser le commissaire Français Thierry Breton qui a présenté sa démission. Les relations de ce dernier avec l’Allemande étaient tendues pour ne pas dire exécrables. Il avait pris, pendant le premier mandat de der Leyen, la tête d’une fronde au sein de l’exécutif bruxellois pour contester le style de travail de la présidente, jugé fermé et peu collectif.
Breton avait publiquement mis en cause la nomination d’un autre émissaire, Markus Pieper, allemand lui aussi, pour se charger des Petites et moyennes entreprises. Cette proposition, qu’on disait hautement rémunérée, a mis la présidente de la Commission dans l’embarras. La polémique avait trouvé écho au Parlement européen, et a abouti à un vote de défiance pour contrer Van der Leyen, alors en pleine campagne pour les élections européennes. Minoritaire, elle a dû faire marche arrière et abandonner la nomination de Pieper.
La constitution d’une nouvelle Commission est toujours un casse-tête au sein de l’Union et répond souvent à d’incalculables jeux politiques. Mais le défi primordial pour la présidente de la Commission est de respecter les tendances politiques issues des urnes, le poids des pays-membres et enfin les équilibres géographiques pour ne léser aucun État membre. La nouvelle équipe proposée cette fois-ci par der Leyen vire plus vers la droite avec une quinzaine de portefeuilles sur 27 attribués au Parti Politique Européen conservateur, première force au Parlement, et que préside, encore une fois, un autre allemand en la personne de Manfred Weber.
La gauche européenne s’inquiète déjà de la tournure que commence à prendre la présidente pour son deuxième mandat. Les écologistes sont, à titre d’exemple, critiques vis-à-vis de sa politique minimaliste de protection de l’environnement qu’elle compte mener. La mise en place du Pacte vert, qui vise la neutralité carbone en 2050, fait partie des priorités de la précédente commission. On craint maintenant que ce Pacte stratégique perde de sa valeur suite aux attaques des partis de droite.
Pourtant, dans leur programme stratégique, les chefs d’État de l’Union avaient défini par le passé les trois domaines prioritaires pour guider les travaux de la Commission. Cela concerne la défense des valeurs européennes au sein de l’Union comme au niveau international. Il s'agit aussi de promouvoir une action extérieure cohérente, en renforçant la sécurité et en adoptant une approche efficace en matière de migration. Et enfin travailler pour une Europe prospère et compétitive, pour assurer une transition écologique et numérique.
Ces principes ont été repris, puis amplement détaillés, dans le rapport que der Leyen a récemment commandé à Mario Draghi, ancien président de la banque centrale européenne. On espère que ses recommandations, précises, détaillées et quantifiées, orienteraient pour les cinq années à venir les travaux de la Commission. À la condition que les États européens s’accordent à les appliquer et à les respecter, ce qui est loin d’être garanti. Sur plus d’une centaine de propositions, Draghi a proposé de se concentrer sur trois domaines d’actions pour stimuler la compétition et relancer la croissance.
La première concerne l’effort collectif que l’Union devrait déployer pour combler l’écart d’innovation avec l’allié américain et la Chine. Bruxelles doit faire plus et mieux pour accélérer le rythme de l’innovation pour améliorer sa position au niveau des nouvelles technologies. Le deuxième domaine d’action est la mise en place, simultanément, d’un plan de décarbonation et de réduction des coûts de l’énergie. Last but not least, la nécessité de renforcer l’industrie européenne de la défense afin de réduire la dépendance vis-à-vis des Américains.
La Commission n’aura donc que l’embarras du choix dans les 170 propositions que recommande Draghi. Il va de soi que cela suppose d’organiser les priorités avec l’accord de tous les autres États-membres. Pour ce faire, il préconise d’investir massivement, en mutualisant les ressources, et notamment en créant une union des marchés de capitaux. Ce décollage doit se baser sur une synergie publique-privé, en vue d’injecter annuellement 800 milliards d’euros supplémentaires, pour atteindre les objectifs assignés. La question qui se pose dès lors est de savoir si tous les États-membres sont prêts pour mener tous ces efforts collectivement.
Pour mieux appréhender le fond de pensées de Draghi, il est parfois utile de l’écouter parler que de le lire à travers ses rapports publiés. Dans un discours prononcé le 16 avril dernier à Bruxelles, à la Conférence de haut niveau sur le pilier européen des droits sociaux, il déclarait devant son assistance que l’Europe a adopté en matière de compétitivité une stratégie visant à abaisser les coûts salariaux des uns par rapport aux autres. Selon lui, l’effet a été d’affaiblir la demande intérieure et de saper, tout de go, le modèle social européen.
Il explicitait également que le problème n’est pas la compétitivité en soi. L’Europe s’est, selon lui, repliée sur elle-même, regardant les concurrents à l’intérieur de l’Union, au lieu d’accorder plus d’attention à sa compétitivité extérieure. L’environnement international, qui paraissait inoffensif a changé, alors que les européens continuent à croire à un ordre international fondé sur des règles. Or, ajoute-t-il, le monde a changé rapidement, et nous a pris par surprise. Ce fût un moment de vérité que tous les européens devraient méditer.
Il est vrai qu’au sein de l’Union, toutes les défaillances sont souvent rejetées sur l’extérieur, à commencer sur la Chine, visée en raison de son dynamisme. On reproche trop souvent à ce pays de développer des technologies avancées et de s’assurer facilement l’accès aux ressources nécessaires à l’expansion de ses industries. Les Européens oublient trop souvent que l’Europe opérait depuis longtemps, elle aussi, illégalement, de la même façon, et de la pire des manières.
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