
Ancien diplomate, docteur en sciences politiques.

Nouvel ordre moyen-oriental, nouvelle ruée vers l’ordre ou l’absurde géopolitique
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Le 8 décembre 2024 à 13h45
Modifié 8 décembre 2024 à 13h45Assisterions-nous à l’installation d’un nouvel ordre moyen-oriental ? Existe-t-il un ordre arabe digne de ce nom ? Qu’en est-il des expressions ressassées depuis trois décennies telles que le Nouveau Moyen-Orient ? La sécurité arabe commune ? Les axes arabes ? Les complexes sécuritaires ? Cette série d’interrogations est légitime à la lumière de ce qui se passe en Syrie depuis deux semaines. Une situation intrigante, mais qui se situe dans la foulée des bouleversements géopolitiques que connaissent le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et la Méditerranée orientale. Une analyse de Hassn Hami.
Comme par un simple coup de baguette, la Syrie est au cœur des transactions politico-stratégiques. On parle du retour de l’opposition (Organisation de libération du Levant, ancienne branche d’Al-Qaïda en Syrie) qui s’impose à Alep, à Hama et à Homs et maintenant à Damas, faisant tomber le régime. Au départ, on ne sait pas si le regain en force des forces de l’opposition est le résultat d’efforts intrinsèques ou s’il est favorisé par l’intervention classique des intérêts régionaux.
Le dimanche 8 décembre, le régime de Bashar al-Assad est emporté par le vent. Le président syrien est lâché par tout le monde. Une chute qui aura des conséquences sur l’échiquier stratégique au Moyen-Orient.
Des transactions qui passent par l’enregistrement des scènes dans lesquelles les intentions de belligérants ne trompent guère sur leurs alliances étrangères ; l’intérêt national est enseveli dans une écharpe d’hallucination géopolitique qui plonge tout l’échiquier politique moyen-oriental dans l’inconnu.
Pourquoi maintenant ?
Alors pourquoi maintenant ? Et quels rapports avec la situation qui prévaut dans la région depuis le 7 octobre 2023, date du déclenchement de la guerre à Gaza ? Sans céder à la précipitation, je proposerai une lecture qui recoupe avec celles que des experts des affaires arabes ont proposées, mais qui s’inscrit dans ce que j’ai déjà avancé depuis sept ans (H. Hami, Le système international en transition : de la prolifération des acteurs au désordre programmé, 2017).
L’idée était que le statu quo politique et diplomatique dans les sous-régions qui enregistrent des conflits endémiques et des oppositions intranationales incontrôlées allait être secoué et que certains acteurs étatiques fragiles allaient payer le prix le plus cher pour n’avoir pas pu saisir des signaux pas très difficiles à lire. Il s’agit de signaux lancés par des crises politiques épistolaires depuis la décomposition de l’URSS, les attentats du 11 septembre 2001 qui ont frappé les États-Unis et la crise financière internationale de 2008.
Dans la périphérie arabe, les choses ont été encore plus évidentes à la suite de l’enclenchement du "printemps arabe" en 2011 et de l’échec cuisant qu’ont récolté ses initiateurs et ceux qui y ont embarqué après coup.
Quoi de nouveau, alors ? Deux explications d’ordre général s’imposent.
→Premièrement, il y a la confirmation de notre thèse sur la fin des services politique et géopolitique de certains régimes dans la périphérie arabe et islamique. Le système international en cours de recomposition n’aurait plus besoin d’intermittents stratégiques qui somnolent politiquement, étouffent économiquement et se noient culturellement et socialement. Certains régimes s’agitent pour se refaire une nouvelle virginité, mais la plupart s’étranglent dans les ficelles qu’ils veulent placer autour des cous de leurs adversaires, acteurs étatiques et acteurs non étatiques.
→Deuxièmement, le lancement de la couleur pour la refonte des alliances régionales s’est accentué au lendemain de la pandémie de la COVID-19. Les alliances ne sont plus évidentes et les transactions politico-diplomatiques ne sont plus un secret pour personne. Tout semble être prévisible sauf pour les têtes brûlées.
Des explications générales, certains pourraient arguer, qui n’apportent rien de nouveau à l’analyse d’ensemble ? Cette observation est judicieuse, si bien que je vais l’alimenter d’une lecture encore plus osée – du moins, je l’espère. Cette lecture alterne ce qui est évident et ce qui est latent dans ce qui se rapporte à la géopolitique prospective.
Dans le registre de l’évidence, on pourra citer un certain nombre de faits. Premièrement, l’affolement de certains acteurs politiques et stratèges au Moyen-Orient et en Afrique du Nord après l’élection du président Donald Trump à la tête des États-Unis. Tout le monde redoute le retour de cette personnalité qui ne fait pas dans la dentelle. Son programme pour le Moyen-Orient et le Proche-Orient est connu. Il se situerait dans la foulée de ce qu’il avait voulu réaliser entre 2018 et 2020, lors de son premier mandat.
La vassalité emportée par le vent
Deuxièmement, les États-Unis avec Donald Trump vont accélérer le processus de règlement (ou de contrôle) des conflits régionaux pour se concentrer sur les batailles systémiques les plus importantes, dont la relance de l’économie mondiale et l’encerclement des forces montantes qui veulent faire cause commune avec la Chine et la Russie pour damer le pion aux Américains.
Troisièmement, la tendance qui prend l’ascendant est celle qui consiste en le maintien des crises sous contrôle sans intention de les résoudre définitivement. L’objectif est de garder la main sur les échiquiers politique, diplomatique et stratégique selon une technique de renvoi d’ascenseurs pour capitaliser sur l’accalmie qu’enregistrent certains conflits régionaux.
Qu’en est-il de la prospective géopolitique ? Celle-ci se présente sous forme d’une série de diversions.
La première diversion comporte quatre constats :
Un : la préparation de la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Tout le monde est maintenant convaincu que cette option sera une priorité dans la politique étrangère américaine sous l’administration Trump.
Deux : la réactivation des conflits en Syrie (et en Irak, plus tard) entre dans le cadre de cette politique de restructuration des conflits en procédant à leur hiérarchisation. Le Proche-Orient et le Moyen-Orient regagnent en importance, mais les conflits qui y végètent se doivent d’être intégrés dans le cadre des batailles futures autour de la géopolitique des hydrocarbures et de la course pour le contrôle des passages et des ports maritimes les plus vitaux pour le commerce mondial.
Trois : l’engagement dans un processus qui obligerait les différents mouvements proxy à se découvrir en termes d’alliance, d’allégeance et d’instinct de survie. Les différentes réactions enregistrées au Liban, en Irak, au Yémen en sont une illustration. Entre les déclarations de soutien ouvert et direct et les hésitations inhabituelles, ces mouvements s’emmêlent les pinceaux politiques et stratégiques.
Quatre : l’obligation imposée aux intermittents étatiques stratégiques de se découvrir à leur tour. Certains le font dans la précipitation, comme c’est le cas de l’Algérie qui entreprend une course contre la montre pour ne pas être sur la liste des pays ciblés dans un proche avenir. Elle joue l’épouvantail et se fait peur en même temps.
Les décideurs algériens s’empressent de soutenir des mouvements séparatistes fantômes en Afrique du Nord et dans l’espace sahélo-saharien. Ils donnent abri à une poignée de personnes qui se présentent comme des militants pour l’indépendance du Rif au nord du Maroc. Ils tendent la main à des mouvements dits berbères en Libye. Ils soutiennent des mouvements de l’Azaouad au nord du Mali. Ils cherchent à tendre un piège existentiel à la Mauritanie pour qu’elle se joigne au cirque d’un nouveau Maghreb des axes.
Les décideurs algériens se frottent les mains après avoir momentanément vassalisé la Tunisie. L’objectif est de fermer les yeux sur l’évidence, en l’occurrence, les revendications indépendantistes de la Kabylie et des mouvements touaregs dans le sud algérien.
La deuxième diversion se lit aussi dans quatre constats.
Un : la situation en Syrie est noyée dans la question des otages israéliens à Gaza. D’aucuns mettent en équation la crise libanaise et la crise syrienne pour établir une hiérarchie de priorités et de solutions. Une stratégie de package pour ainsi dire. Oui, Israël peut observer une certaine retenue, à condition que toute solution à la crise syrienne passe par deux conditions.
D’une part, que le maintien de Bachar el-Assad (sous un statut ou un autre) soit assorti de l’abandon de toute revendication ultérieure de l’occupation du Golan par Israël. D’autre part, que le soutien aux factions syriennes qui veulent changer le régime en Syrie ne les fasse pas tomber entre les mains des acteurs de substitution autres que la Turquie ou l’Iran.
Deux : la nouvelle administration américaine qui entrera officiellement en fonction le 20 janvier 2025 marque déjà le terrain. Un envoyé du président américain élu a rencontré, la semaine dernière, des responsables israéliens et des médiateurs arabes. Le message est clair : quel que soit l’arrangement obtenu par l’administration sortante dans les six semaines qui lui restent au pouvoir, il serait remis en cause si les priorités tracées par Donald Trump n’étaient pas prises en considération.
Trois : la préparation du terrain pour des marchandages futurs avec des acteurs régionaux qui tirent les ficelles de la confusion (Turquie, Iran, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Qatar et Égypte). Ces acteurs se doivent de s’en tenir au script sous peine de payer les pots cassés d’une lecture erronée de la nouvelle géopolitique au Moyen-Orient.
Quatre : les négociations et ententes tirées par les cheveux entre OLP et Hamas pour la cogestion de Gaza après le retrait potentiel (et improbable, présentement) de l’armée israélienne. Cette évolution ne présagerait rien de bon pour ce qui est du processus de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne. Les Palestiniens partent déjà en position de faiblesse. Et il n’est pas certain que les parrains de Hamas, même si le mouvement est affaibli, acceptent de tout perdre au change.
Maintenant, la Syrie elle-même en tant que partie dans l’enjeu et bouc émissaire. Pris dans l’étau d’une lecture fausse des changements qui sont intervenus au lendemain du 7 octobre 2023, le régime syrien ne se faisait plus d’illusions sur son avenir. Si durant les quatre dernières années, la question du maintien du Président Bachar el-Assad a été une exigence, rien n’est moins sûr dans la séquence actuelle.
Plusieurs indicateurs en attestent, que l’on peut décliner comme suit. Premièrement, le régime de Bashar el-Assad demande le soutien militaire urgent de l’Iran ? Téhéran tergiverse. Et que peut-il en récolter ? Téhéran joue subtilement la carte de la demande expresse. Il ne l’avait pas fait en 2012 quand il a envoyé des conseillers appartenant aux Gardiens de la révolution iranienne pour former l’armée syrienne et des combattants recrutés en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, etc.
Deuxièmement, les Houtis du Yémen et le Hashd al-Shaabi irakien qui se sont déclarés prêts à intervenir devaient au préalable obtenir l’aval de Téhéran. Or, Téhéran traverse une situation délicate et les préoccupations de la transition politique au sommet de l’État passent avant toutes autres considérations. Quant à Hezbullah, il n’est plus que l’ombre de lui-même et il est coincé dans son dilemme de la composition ou de la disparition.
Recomposition du champ stratégique sans les têtes brûlées
Troisièmement, une chose est certaine : la solidarité entre mouvements proxy est désormais, sinon impossible, du moins difficile, et il faut que ces mouvements aient l’aval de leurs sponsors et mentors; ce qui est loin de se réaliser à court terme.
Quatrièmement, le monde à l’envers : Tout le monde veut garder Bashar el-Assad en place et tout le monde veut s’en débarrasser. Si le retour des mouvements d’opposition a été une surprise relative pour la plupart des observateurs, il n’en demeure pas moins un facteur déterminant dans la recomposition du champ géopolitique dédié aux acteurs non-étatiques à la solde d’acteurs majeurs régionaux au Moyen-Orient.
Cinquièmement, la main et le rôle des conseillers étrangers (anciens hauts décideurs dans leurs pays) dans la définition des nouveaux enjeux sont indéniables. Cependant, si le marchandage politique et diplomatique fait partie des règles du jeu en géopolitique, les idées que ces conseillers ont l’habitude de défendre semblent ne plus faire le poids.
Sixièmement, il en est ainsi de l’idée de créer des zones d’influence dans trois zones séparées en Syrie sans aller jusqu’à morceler le pays. La dimension ethnique et religieuse serait absorbée sans favoriser la provocation de conflits épistolaires futurs.
Septièmement, la récupération des mouvements politiques qui ont été rejetés ou intronisés à la veille et au lendemain du Printemps arabe. Il en est ainsi du retour de l’islam politique radical pour jouer l’épouvantail contre l’islam politique modéré.
Huitièmement, il découle de l’idée précédente l’adoption d’une nouvelle approche qui vise à repêcher ceux d’entre les acteurs étatiques en compétition pour les relancer dans des rôles de médiation ciblés (Émirats arabes unis, Qatar, Égypte, Turquie, Kuweit). L’islam modéré doit faire attention, rien n’est tranché et rien n’empêche de multiplier les actions de sape intranationales pour acculer ces acteurs à la composition à défaut de les forcer à la compromission.
Dès lors, peut-on parler d’un nouvel ordre arabe ou d’une recomposition des complexes sécuritaires régionaux, dont celui du Proche-Orient et du Maghreb ? Il est difficile de se hasarder sur cette piste, mais cela n’exclut pas de les mettre en phase avec le changement global que connaît la structure du système international.
Il y a cependant des nuances à prendre en ligne de compte. La première nuance consiste dans le fait que l’ordre arabe ne signifie pas forcément la sécurité arabe. Il signifie plutôt des arrangements qui reposent sur le fait de calmer le jeu face au risque d’une agression extérieure imminente.
Une deuxième nuance est à intégrer dans l’analyse et qui découle de la conviction de certains acteurs arabes du Golfe en conflit épistolaire qu’ils ne peuvent pas se neutraliser indéfiniment. Les épisodes de 2017 sont un lointain souvenir.
Une troisième nuance procède de la persistance d’une impasse en matière de revendication pour l’unité au Maghreb. Le complexe sécuritaire qui aurait pu épauler, même laborieusement, les institutions mises en place par l’Union du Maghreb arabe est en panne du fait du conflit de rôle entre l’Algérie et le Maroc.
La quatrième nuance décrit une sorte de strabisme dans la perception de la sécurité, dans la mesure où, curieusement, les acteurs cooptés pour animer le nouvel ordre arabe en gestation trouvent dans la région du Maghreb un terrain de confrontation secondaire.
La rotative du changement orienté mise en branle
La cinquième nuance consacre le fait que la hiérarchie des acteurs au Maghreb a changé et les acteurs les plus influents ne s’accommodent plus des pressions venues d’ailleurs et encore moins de celles émanant du Moyen-Orient ou du Proche-Orient.
La sixième nuance fait ressortir que le jeu de tremplin stratégique entre la Russie et la Turquie, en vue de réduire l’influence de l’Iran, est voué à l’échec dans la mesure où la stabilité générale dépendra présentement de l’issue de la transition politique dans ce pays. La stabilité dépendra aussi de son aptitude à maintenir les alliances qu’il a créées dans la région à travers ses bras armés dans les pays voisins.
Quoi de plus ? Ironie du sort, tous les pays qui ont opté pour un système de gouvernement républicain antimonarchique avec une propension démesurée à changer les régimes dans les pays voisins sont aujourd’hui sous la double menace de changement de régime chez eux et de la perte de parcelles importantes de leurs territoires.
La Syrie et son protectorat sur le Liban pendant trois décennies ne lui a servi à rien du tout. L’Irak reste sous la menace du morcellement virtuel et réel. La Libye est candidate à servir de premier laboratoire en Afrique du Nord. L’Algérie ne serait pas en reste.
Lectures de la crise syrienne
La crise syrienne a fait l’objet de lectures dichotomiques qui ont été inspirées par des convictions idéologiques et des tendances opportunistes en vue de l’occupation de l’échiquier médiatique sans risquer de voir son miroir analytique étiolé. Théoriquement, ces lectures ne manquent pas de pertinence.
Un : la Syrie est vouée à un bouleversement radical parce que trois de ses principaux soutiens lui ont faussé compagnie par la force des choses : d’une part, les milices de Hezbullah ont été redéployées dans le sud du Liban pour arrêter l’offensive de l’armée israélienne, et de l’autre, les conseillers militaires iraniens et russes ont été retirés, laissant l’armée syrienne à la merci de ses adversaires.
Deux : une complicité entre la Turquie et la Russie est acquise. La raison en serait que la Russie obtienne des gains en Ukraine et que la Turquie tue définitivement la menace des Kurdes. J’ajouterai que la Russie veut se débarrasser du fardeau financier imposé par le soutien à la Syrie. Elle aurait fait la même chose au sujet du Haut-Karabakh récupéré par l’Azerbaïdjan. Le soutien inconditionnel à l’Arménie coûtait cher à la Russie.
Trois : Israël aurait soutenu certaines factions combattantes en vue d’exercer des pressions sur l’Iran et de l’obliger à se retirer définitivement de la Syrie et du Liban.
Que dire en définitive ? Une seule conclusion : des acteurs étatiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui ont sévi pendant cinq décennies grâce à l’entretien de la confusion et au soutien à des mouvances dissidentes tout en jouant le rôle de courroies stratégiques se doivent de se réveiller.
Ils seraient concernés par la prochaine vague de remise en cause qui entre dans le cadre du recentrage des complexes sécuritaires régionaux. Certains sont même menacés de faire l’objet de morcellements géographiques imposés par les exigences de la géopolitique rénovée.
Par ailleurs, des acteurs moyen-orientaux qui se croient incontournables dans les équations sécuritaires et stratégiques futures ne perdront rien pour attendre le jour où ils déchanteront, comme ceux qui les ont précédés et mordu la poussière en fin de compte.
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