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Dr Naima Hamoumi

Professeur retraitée de l’Université Mohammed V Agdal, Rabat. Experte en Géosciences marines terrestres et de l’Environnement

Progression des émissions de gaz à Douar Ahmed Ben Brahim (province de Fkih Ben Salah)

Le 21 janvier 2025 à 12h38

Modifié 21 janvier 2025 à 16h09

L’étude géologique des terrains affleurant près de Douar Ahmed Ben Brahim dans la province de Fkih Ben Salah a montré l’existence d’anciens volcans de boue liés à l’expulsion de gaz en cours de réactivation [1]. L’interprétation de ces terrains a été faite sur la base des émissions de gaz et de fluides noirâtres qui se sont produites au mois de mars 2024 et sur des critères géomorphologiques, sédimentologiques et tectoniques.

Durant le mois de décembre 2024, il y a eu une extension des centres d’émission de gaz, dont j’ai pris connaissance le 22 décembre grâce à la vidéo réalisée par M. Nejari. La visite de terrain effectuée le 16 janvier 2025 a permis d’observer de visu cette évolution, de constater l’ampleur du phénomène et d’avoir les témoignages des habitants du Douar (Fig. 1).

 

Figure 1 : Avec Ismail Wahid, un des témoins rencontrés lors de la visite de terrain du 16 janvier 2025

Les évidences d’une nouvelle réactivation d’anciens volcans de boue liés à des hydrates de gaz

Des expulsions de gaz et de fluides

Plusieurs foyers d’émission de gaz très actifs sont apparus dans une nouvelle zone plus proche des habitations. Ces fumées blanchâtres qui peuvent se transformer en flammes même pendant la nuit, selon les habitants, ont une très forte odeur de soufre. Les émissions de gaz se font à partir de fractures nouvellement créées et de petits cratères (Fig. 2 et 3). Des épanchements liquides noirâtres apparaissent également autour des fractures (Fig. 4).

Figure 2 : Emission de fumées blanches à partir des fractures et des cratères nouvellement créés

 

Figure 3 : Fumées blanches remontant à partir des profondeurs d’une fracture

 

Figure 4 : Epanchements liquides autour des fractures

Des critères géomorphologiques, tectoniques et sédimentologiques

Les affleurements de terrains montrent une longue dépression le long du Douar qui comporte des monticules de tailles pluri métriques (Fig. 5) et une ride de hauteur et de largeur pluri métriques et de longueur kilométrique (Fig. 6). La ride est modelée par des gryphons de tailles métriques pouvant comporter un petit cratère et des déformations synsédimentaires (Fig. 7).

Les monticules et la ride sont affectés par des réseaux de fractures qui s’organisent selon 3 directions préférentielles : une direction parallèle à l’allongement de la ride, une direction qui lui est perpendiculaire et une autre orientée SE NW qui est oblique à la première (Fig. 8).

Figure 5 : Monticule de forme conique et de taille pluri métrique avec des foyers d’émission de gaz sur les flancs

 

Figure 6: Dépression allongée le long du Douar avec une ride centrale de longueur kilométrique

 

Figure 7 : Gryphons métriques et déformations synsédimentaires au sommet de la ride

 

Figure 8 : Fracturation intense au niveau de la nouvelle zone siège de la réactivation

Les sédiments de ces terrains correspondent à une brèche argileuse (Mud breccia) non stratifiée, non litée et sans Gran classement ou fabrique (Fig. 9 et 10). La matrice, dominante, est constituée par des argilites friables et à débit écailleux de couleurs variées : gris, gris-verdâtre, jaunâtre ou marron.

Les éléments sont de nature lithologique variée : roches carbonatées, grès, microconglomérats et argilites. Ils sont également de formes anguleuses et très mal classés, leur taille varie des granules aux galets (centimétriques à décimétriques), en passant par les graviers.

Figure 9 : Mud brecchia à matrice argileuse et éléments très mal classés (fragments de roches granules et graviers)

 

Figure 10 : Mud brecchia versicolore comportant également des galets de taille centimétrique a décimétrique

Ces caractéristiques sédimentologiques permettent d’exclure l’hypothèse selon laquelle les émanations de fumées et les feux qu’elles induisent seraient engendrés par la mise en feu d’une tourbière dont l’assèchement a été favorisé par le réchauffement climatique. Le facies "Mud brecchia" ne peut en aucun cas être confondu avec celui d’une tourbière. Les dépôts des tourbières montrent en général une alternance de couches discontinues riches en matière organique dont la composition peut varier aussi bien horizontalement que verticalement, avec des fines couches de sable limoneux, de limons et/ou d’argilites.

Un contexte géodynamique favorable

Cette nouvelle réactivation enregistrée en décembre 2024 traduit une progression latérale des centres d’émissions vers l’Ouest. Selon les habitants de Douar Brahim Ben Ahmed, les émissions de gaz et les feux ont commencé à se manifester il y a 8 ans dans le secteur Est, elles étaient localisées près du croisement avec la route nationale RP322. La première extension vers l’Ouest s’est produite en mars 2024[2] (Fig. 11) et, en décembre 2024, elle a atteint le secteur actuel.

Figure 11 : Zone où sont apparues les émissions de fumées et les flammes en mars 2024 (à droite de la photo entre les deux monticules)

Ces manifestations sont sûrement liées à une réactivation de failles profondes, dont le jeu permet la création de fractures qui favorisent les émissions de gaz enfouis dans le substratum. Cette réactivation est induite par l’activité sismique de la région (Fig. 12). Selon le site Volcano Discovery[3], la région de Fquih Ben Salah a été soumise au cours des 30 derniers jours à 18 séismes d’une magnitude allant jusqu’à 3,4 et elle aurait connu au moins 3 séismes de magnitude supérieure à 5 depuis 2010.

Figure 12 : Séismes enregistrés dans la région de Fquih Ben Salah d’après le site Volcano Discovery

La région de Fquih Ben Salah s’est développée dans un contexte de marge active, au front de la chaîne du Haut Atlas central, dont la surrection a été à l’origine d’un raccourcissement et de la formation de bassin syn-orogénique. Dans ce type de bassin, la formation de volcans de boue est favorisée par la compaction et la déformation des sédiments saturés en eau, qui induisent des surpressions et provoquent ainsi l’expulsion des gaz et des fluides. D’ailleurs, la majorité des volcans de boue à travers le monde sont associés aux ceintures des zones de subduction et de convergence dans les marges océaniques actives actuelles et dans les fronts des chaînes de montagne à terre.

Des mesures s’imposent d’urgence

Les critères géomorphologiques, sédimentologiques et tectoniques mis en évidence, ainsi que les émissions de gaz et les épanchements de fluides noirs et le contexte géodynamique, plaident en faveur de l’existence de volcans de boue liés à des hydrates de gaz et à leur réactivation actuelle. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas limité à la région de Fquih Ben Salah. En effet, en l’espace de quelques mois, a été enregistrée une réactivation des volcans de boue liés à des hydrates de gaz à Tingarf dans la région d’Azilal[4] et à Timedghas dans la province de Khénifra[5].

Ces trois régions se sont développées dans le même contexte géodynamique, à savoir la surrection des chaînes du Haut Atlas et du Moyen Atlas. Le phénomène de mud volcanisme lié aux hydrates de gaz a des intérêts scientifiques et des retombées socio-économiques indéniables. Il convient donc de lancer un programme d’investigation complet et intégré portant sur les études géophysiques, structurales, stratigraphiques, sédimentologiques et géochimiques.

Un tel programme devrait permettre :

- d’actualiser les connaissances géologiques et géodynamiques de ces régions,
- de cartographier avec précision les zones qui sont le siège de mud volcanisme,
- d’évaluer l’importance et l’étendue des gisements de gaz liés à ces volcans de boue,
- de préciser la qualité de ces gaz et la nature des minerais associés aux volcans de boue.

Par ailleurs, il devient urgent de lancer une campagne d’information et de sensibilisation auprès des habitants de Douar Ahmed Ben Brahim et des douars avoisinants. En plus des effets indésirables de la pollution de l’air par les émanations de gaz, il y a des risques majeurs pour les enfants qui continuent à jouer et circuler dans ces zones où de nouvelles réactivations peuvent entraîner des affaissements, des fracturations, ou la création de nouveaux cratères et de centres d’émission de gaz et de flammes.


[1] Hamoumi N (2024) - Découverte d’un gisement de gaz naturel dans la province de Fkih Ben Salah, Maroc, publié le 11 mars 2024

[2] Hamoumi N (2024) - Découverte d’un gisement de gaz naturel dans la province de Fkih Ben Salah, Maroc, publié le 11 mars 2024

[3] https://www.volcanodiscovery.com/fr/seismes/morocco/beni-mellal-khenifra/fquih-ben-salah.html

[4] Hamoumi N & Courba S. ( 2024) - Découverte de volcans de boue liés à des hydrates de methane à Tingarf, province d’Azilal, Maroc, publié le 3 septembre 2024

[5] Reportage. Indices de gaz dans la région de Timedghas (province de Khénifra), publié le 15 avril 2024

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