Faouzi Skali : “Il est important de trouver de nouvelles façons de rencontrer le patrimoine”

Dans ce récit en six parties, le président de l’Association du Festival de Fès de la Culture Soufie nous parle de son rapport à la ville spirituelle du Maroc qui a évolué de l’enfance à aujourd’hui. On y découvre une ville de Fès à la fois spirituelle et accessible à tous. Ici, élévation de l’esprit s’intègre parfaitement au rythme de la vie ordinaire et de ses espaces quotidiens. C’est tout le mystère des lieux sacrés de cette ville.

Faouzi Skali : “Il est important de trouver de nouvelles façons de rencontrer le patrimoine”

Le 19 juin 2024 à 16h46

Modifié 19 juin 2024 à 18h17

Dans ce récit en six parties, le président de l’Association du Festival de Fès de la Culture Soufie nous parle de son rapport à la ville spirituelle du Maroc qui a évolué de l’enfance à aujourd’hui. On y découvre une ville de Fès à la fois spirituelle et accessible à tous. Ici, élévation de l’esprit s’intègre parfaitement au rythme de la vie ordinaire et de ses espaces quotidiens. C’est tout le mystère des lieux sacrés de cette ville.

La ville de Fès, âme du Maroc, a été et demeure un "centre" pour le soufisme. On dit d’ailleurs qu’il y a plus de saints enterrés à Fès que de vivants qui y circulent. Président de l’Association du Festival de Fès de la Culture Soufie, anthropologue et auteur, Faouzi Skali nous y mène d’un quartier à l’autre.

Sur le chemin dallé des petites ruelles, ce penseur soufi nous confie que le travail universitaire qu’il a mené sur les saints et sanctuaires de Fès avait justement pour but d’explorer pour mieux comprendre l’histoire de ce patrimoine culturel et spirituel. Cela n’a pas empêché notre guide de mener également des actions à travers les deux festivals de la musique sacrée et de la culture soufie, dans cette volonté de proposer de nouveaux chemins conduisant à la rencontre de ce patrimoine et de le dépoussiérer de son statut de "vestige" regretté.

"Notre patrimoine a encore beaucoup à nous offrir, pas uniquement comme un vestige du passé mais comme une merveille du présent", dit-il. Dans ce qui suit, Faouzi Skali nous offre un voyage dans les souvenirs de Fès, mais aussi une percée dans l’enchantement du présent. Retour vers le futur.

La médina, des liens organiques 

"J’ai un rapport particulier à Fès dans la mesure où j’ai quitté le Maroc pour poursuivre mes études à Paris et je suis revenu vivre dans cette ville. Ce qui est un peu rare par rapport à beaucoup de gens de ma promotion et autour de moi, qui ne sont pas nécessairement revenus s’y installer."

Faouzi Skali au premier plan, à gauche, pendant le Festival de la musique Sacrée (Jnane Sbil à Fès).

J’ai donc un rapport organique avec cette ville. D’abord, parce que je suis né dans la médina ancienne, pas loin d’Al Qaraouiyine, dans une petite ruelle qui s’appelle Zeniqat Hajjama. J’ai donc des souvenirs dans cette maison assez ancienne. Quand j’ai quitté ce lieu j’avais 5 ans. Après, on est allés vivre en ville nouvelle à Dar Dbibegh. Par ailleurs, j’ai gardé des liens avec plusieurs membres de ma famille qui vivaient encore dans la médina. J’ai donc des souvenirs particuliers avec la médina et son patrimoine à la fois culturel et historique".

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Zaouïa Skallia, le "temple" familial

"J’ai aussi un souvenir particulier d’une autre maison de mon enfance dans laquelle j’ai continué à aller pendant plusieurs années. C’est celle de mon grand-père paternel, dans le quartier El Blida. Elle était mitoyenne de la Zaouïa Skallia, du nom de Moulay Ahmed Skalli, un de mes ancêtres, qui a fondé ce mausolée connu à Fès. Ce qui fait que quand j’étais enfant, j’allais jouer dans ce mausolée. Ce lieu, on y était tous les jours. Bien sûr, de temps en temps, un grand nombre de gens venaient de partout pour le visiter et y organiser des cérémonies religieuses, notamment celle de la nativité du prophète : Al Mawlid Al Nabawi, mais aussi pour Dikr. C’était assez impressionnant de voir ce lieu au quotidien - qui abritait des tombes de certains de mes ancêtres et dans lequel on jouait naturellement, sans qu’il n’y ait cette gravité liée au fait que ce soit un mausolée - se transformer en un lieu de cérémonies religieuses, de mouvement progressif de transe et de danse extatique qu’on appelait aussi chez les Skallis Al Khamra ou l’ivresse spirituelle. Petit, je n’avais pas encore conscience de tout cela. Ce n’est qu’après que j’en ai pris conscience quand j’ai commencé à m’intéresser au soufisme. Cette Zaouïa est encore aujourd’hui ouverte et c’est aussi une mosquée".

Ces lieux quotidiens du raffinement de l’artisanat marocain

"Il y a aussi la maison de mon autre grand-père, dans le quartier Makhfia, qui était pour sa part majestueuse, très éclairée, avec de très belles sculptures, des mosaïques, etc. Cette maison impressionnante avait une prégnance et une âme. Et il se trouve qu’après mon retour de France, mon grand-père a été appelé à Dieu et j’ai habité dans cette maison plusieurs années après. En habitant cette maison, on avait pour habitude au quotidien de se parler de fenêtre en fenêtre avec mes enfants. On avait l’impression de vivre dans un théâtre avec cette grande demeure verticale qui s’ouvrait vers le ciel sur un carré d’azur, avec ces grandes portes monumentales. Cet espace majestueux contrastait avec les mansardes de Paris et avec les appartements de la ville nouvelle de Dar Dbibegh. Car là, et d’un seul coup, il y avait cette grande maison avec des plafonniers très hauts et cela a complètement changé le rapport qu’on avait avec l’espace. En vivant dans cette maison, on était aussi confronté au quotidien à cette volonté de beauté et d’art grâce au raffinement qui se déployait à travers le travail du bois, du zellige, du marbre, etc. On avait l’impression de vivre dans un temple en quelque sorte. Et c’est quelque chose de très frappant".

Mausolées de Moulay Idriss de Moulay Ahmed Tijani

"Beaucoup plus tard, quand j’ai commencé à m’intéresser au soufisme, j’ai fait une thèse sur les saints et les sanctuaires de Fès. Et c’est là que j’ai découvert beaucoup de lieux, de maisons et de zaouïas dans tous les quartiers de Fès et en très grand nombre. Cette ville est entièrement enchevêtrée de zaouïas et de lieux sacrés. Et c’est pour ça que Fès est référencée comme ville sacrée et spirituelle. Toute son architecture et son urbanisme sont totalement imprégnés de cette histoire spirituelle de Fès, de ses zaouïas et de ses mausolées. Suite à mon exploration et mon envie de savoir et de comprendre, j’ai découvert énormément de lieux, dans des impasses, des ruelles et des ruines, des mausolées de telle ou telle personne comme la zaouïa de Sidi Taoudi Ben Souda par exemple. Tous les fassis vont bien évidemment vous parler du mausolée de Moulay Idriss dans lequel il y a une manière de vivre le sacré au quotidien. Il y a évidemment la zaouïa de Sidi Ahmed Tijani qui est très impressionnante et très belle où on rencontre beaucoup de pèlerins qui viennent d’Afrique. On voit alors toute la grandeur attachée à ce lieu".

Médersa Bou Inania, carrefour du passé et du présent

"Quand j’ai commencé à faire le festival à la fois de la musique sacrée et de la culture soufie, la médersa Bou Inania, qui est une des plus belles avec Al Attarine, était un formidable espace pour les conférences. Il m’a semblé tellement intéressant de faire ce lien entre l’architecture du passé qui a traversé les siècles (13e et 14e siècle) et les célébrations du présent. Tout en étant rénovée, la Médersa Abou Inania a gardé toute sa belle architecture. Et on voit à quel point ce lieu-là était attaché au savoir : de petites et belles cellules ouvrant sur le patio où il y a toute cette architecture, les arabesques, les mosaïques et une grande basque d’eau au milieu. On est alors confronté à cette beauté et à la lumière qui passe en verticalité et se diffracte dans tous les sens. On comprend à quel point le sens du beau était très important tout aussi bien que la sacralité du savoir. Les bâtisseurs de ces lieux-là avaient un rapport très fort avec le savoir et une grande sacralité. On a l’impression d’être dans un temple du savoir dans tout le sens du terme. J’ai voulu donc associer cela avec la culture soufie d’aujourd’hui comme un rappel de notre histoire. Le festival de la culture soufie joue ce rôle là et on ramène des intervenants du monde entier, dans ce patio, qui discutent de différents courants de soufisme : Ibn Arabi, Rabiaâ Al Adaouia, Roumi, etc. Et c’est à chaque fois un moment magique de tenir des discussions dans ce lieu chargé d’histoire et de philosophie du savoir. On se dit qu’il y a une alchimie qui se crée dans cette ville de Fès".

>>> LIRE AUSSI : Fès. Les médersas ou le chef-d’œuvre des Mérinides

Medersna Bou Inania à Fès

Jardin Jnane Sbil, dans les jardins du Samaâ, l’audition spirituelle 

"Le jardin Jnane Sbil, pour la plupart des Fassis, est un lieu de respiration. Il a été créé de manière à y installer des vergers et des jardins, pour que les gens qui habitent près du mausolée de Moulay Driss ou de La Qaraouiyine puissent venir y respirer de l’air frais en hauteur. On se rend dans ce lieu pour aérer, rencontrer des amis, passer des après-midis en famille, etc. C’est un lieu de poésie dans l’imaginaire des Fassis dans le sens où plusieurs chants et chansons y sont associés. C’est un lieu d’enchantement. Jnane Sbil a été d’ailleurs entièrement réhabilité par la Fondation Lalla Hasnaa pour l’environnement. Aujourd’hui, il se déploie à travers sa parure la plus florissante. Et c’est devenu un jardin botanique avec des arbres magnifiques, une végétation absolument splendide, un espace plein de clairières et de nombreux endroits où on peut se promener. C’est un lieu qu’on fréquente avec beaucoup de joie. D’autant que les habitants de la Médina ne disposent pas tous de jardins. Là aussi, c’est avec grande joie d’avoir connecté ce lieu avec certains concerts des festivals de Fès, en l’occurrence de le Samaâ Soufi (audition spirituelle Soufie, ndlr). Et c’est toujours un moment émouvant de prendre part à ces Samaâ dans la lumière du soir, entouré d’arbres magnifiques et d’écouter ces chants qui s’élèvent en hauteur."

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