Conjoncture amère pour les producteurs d’amandes douces

Sondés par Médias24, des producteurs marocains d'amandes douces tirent la sonnette d'alarme sur la fragilisation de la production locale en raison de l'explosion des importations d'amandes américaines. L'augmentation des importations se justifie par la faible production nationale, liée à la sécheresse des dernières années, nous explique le ministère de l'Agriculture. État des lieux.

Conjoncture amère pour les producteurs d’amandes douces

Le 25 juin 2024 à 17h51

Modifié 25 juin 2024 à 18h46

Sondés par Médias24, des producteurs marocains d'amandes douces tirent la sonnette d'alarme sur la fragilisation de la production locale en raison de l'explosion des importations d'amandes américaines. L'augmentation des importations se justifie par la faible production nationale, liée à la sécheresse des dernières années, nous explique le ministère de l'Agriculture. État des lieux.

Ils sont trois producteurs locaux à témoigner auprès de Médias24 de la fragilisation de la production nationale d'amandes douces. D'après eux, l'importation massive d'amandes américaines est à blâmer. Ils alertent sur les éventuels arrachages d'amandiers et appellent à l'application urgente des mesures de sauvegarde.

"Actuellement, nous vivons une situation alarmante au niveau des amandes douces. Les acheteurs se désintéressent totalement des amandes marocaines étant donné qu’il y a eu des importations massives d’amandes américaines. Le volume a été multiplié par 15 tandis que les montants importés ont été multipliés par 11 de 2018 à 2023", s'indigne une productrice d'amandes dans la région de Fès-Meknès.

Rappelant les derniers chiffres de l'Office des changes (image ci-dessous), elle souligne que le volume des importations a augmenté de 40% entre 2022 et 2023. "Le stock créé fait que les amandes marocaines ne sont plus recherchées, d’autant plus que leurs rivales américaines sont moins chères. Le constat est que les transactions nationales sont quasiment à l’arrêt, et les prix proposés impliquent de vendre à perte".

À l'origine de la crise, le démantèlement tarifaire progressif imposé par l'accord de libre-échange Maroc-USA

"La crise chez les producteurs d'amandes au Maroc n'a pas seulement été aggravée par l'explosion des importations depuis les États-Unis, mais elle a été aussi, et surtout, provoquée par celle-ci. À l'origine de cette crise, l'accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis qui a progressivement levé les droits d'importation sur les amandes douces. Aujourd'hui, les quotas d'importation sont complètement levés", explique un agriculteur dans la région de Fès-Meknès.

Il est rejoint sur ce point par un producteur et concasseur d'amandes dans la même région : "On parle d'un remplacement progressif, voire une substitution de la production locale par les importations d'amandes américaines. Historiquement, le Maroc est connu pour sa grande production d'amandes, qui est la deuxième production arboricole après l'olivier".

"Auparavant, le Maroc était protégé par des droits d'importation qui étaient élevés, lesquels droits bloquaient ou freinaient les importations américaines et même européennes. Ensuite, il y a eu l'accord de libre-échange avec l'Europe et avec les États-Unis. Dans le cas de l'Europe, les droits d'importation ont été maintenus, ce qui fait que l'importation était pénalisée à partir des pays européens. Mais dans le cas de l'accord d'association avec les États-Unis, il y a eu un démantèlement progressif qui a pris fin officiellement en 2018. Depuis, les droits d'importation sont devenus nuls à partir des Etats Unis".

Signé en 2004, l’accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis d’Amérique s’applique au commerce des marchandises agricoles et industrielles ainsi qu'au commerce des services. Il prévoit l’établissement de listes correspondant à des rythmes de démantèlement variant de 0 à 10 ans, comprenant principalement les semences, les plants, les animaux reproducteurs, les aliments pour l’élevage, les graines oléagineuses, le beurre et certains produits frais ou transformés pour lesquels le Maroc dispose d’avantages comparatifs.

Une exception, en termes de traitement et de période de démantèlement a été néanmoins retenue pour certains produits agricoles sensibles pour le Maroc, dont le droit de douane sera démantelé sur une période de 10 jusqu’à 25 ans. Cette liste comprend essentiellement le lait et les produits laitiers, les amandes, l’orge, le miel, les œufs, les préparations alimentaires, les produits contenant du sucre, les viandes ovines et caprines ainsi que les légumineuses.

"La problématique vient du fait que les amandes douces ne font pas partie de l’annexe 3-A détaillant les mesures de sauvegarde agricole dans l’accord de libre échange liant le Maroc aux Etats-Unis ", précise notre première interlocutrice.

Les explications du ministère de l'Agriculture 

Contacté par nos soins, le ministère de l'Agriculture nous explique que l'augmentation des importations se justifie par la faible production d’amandes, liée à la sécheresse des dernières années. "La situation devrait se rétablir avec l'entrée en production des nouvelles plantations et les conditions climatiques favorables".

Les trois producteurs joints par Médias24 contestent néanmoins l'insuffisance de la production locale d'amandes.

"L'importation des amandes américaines ne se justifie en aucun cas par la pénurie d'amandes au Maroc. Aujourd'hui, le prix est le principal motif d'importation. Les amandes américaines, qui arrivent à un prix très faible, entraînent ainsi une concurrence déloyale", note le concasseur d'amandes.

"La Californie à elle seule est le premier producteur mondial et le premier exportateur mondial d'amandes. Nous nous ne battons pas à armes égales avec les États-Unis qui ont une puissance énorme puisqu'ils accaparent 75% à 80% de la production mondiale. Les Américains bénéficient donc d'une infrastructure de production, de commercialisation, de logistique qui est énorme. Tous ces éléments-là font que leurs prix à la sortie sont inférieurs aux nôtres", explique-t-il.

"Les deux tiers de la consommation locale des amandes proviennent aujourd'hui des Etats-Unis"

"Les deux tiers de la consommation locale des amandes proviennent aujourd'hui des Etats-Unis, alors que jusqu’à 2018, celle-ci était entièrement satisfaite par la production marocaine", ajoute ce dernier.

"Le Maroc est autosuffisant en termes de production d'amandes. Mais ce qui va se passer, c'est que les gens vont commencer à arracher. Certains ont déjà commencé, du seul fait que la culture n'est plus rentable. On parle là d'une éventuelle perte d'un capital important au Maroc. Derrière, une dépendance totale pour un produit qui est très consommé au Maroc, par rapport à l'extérieur, notamment par rapport aux Etats-Unis. Si demain vous avez une flambée des prix, comme cela peut exister sur les matières alimentaires, le Maroc va se retrouver complètement fragilisé par ce type d'importations. Alors qu'à la date d'aujourd'hui, il est encore une fois autosuffisant", appuie son confrère.

"Le consommateur marocain était habitué à l'amande marocaine. Sauf que l'amande américaine a commencé au fil du temps à entrer dans les mœurs, surtout chez les industriels", observe celui-ci.

Des mesures de sauvegarde s'imposent selon les producteurs

"Malgré le coût plus compétitif de l’amande américaine, les prix de l’amande sur le marché marocain n’ont cessé d’augmenter pour le consommateur marocain. En grande surface, l’amande américaine est vendue à 109 DH/kg alors qu’elle est importée à moins de 50 DH/kg", précise pour sa part la productrice d'amandes dans la région de Fès-Meknès.

Elle enchaîne : "Face à une telle concurrence, si des mesures de subvention directe aux agriculteurs (à l’image de ce qui a été mis en place pour la culture de la pomme de terre et de l’oignon) ou des barrières non tarifaires ne sont pas mises en place rapidement, tous les producteurs actuels d’amande vont devoir arracher leurs arbres".

"En effet, il s’agit d’une situation structurelle délibérément créée et confirmée par le gouvernement marocain au moment de la signature des accords de libre échange avec les Etats-Unis. À terme, cela signifie la destruction de toute une filière sur le sol national et la mort de l’amande marocaine. Les Etats-Unis, déjà producteurs de 80% de la production mondiale, auront à terme le contrôle et le monopole du marché marocain des amandes, avec tout ce que cela suppose de risques".

"Pour remédier à la situation, il faut revoir l'accord de libre-échange et prévoir des mesures de protection. Il faut mettre en place une barrière à l'entrée des amandes, comme ce qui a été fait pour le blé et pour différentes spéculations", conclut de son côté le concasseur d'amandes.

Au cours de la saison 2022-2023, la superficie totale occupée par les amandiers s'élevait à 230.510 hectares au niveau national, selon les dernières données fournies par le ministère. Les principales zones de production sont concentrées dans les régions de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Fès-Meknès et l'Oriental. La production moyenne d'amandes non décortiquées est estimée à 146.096 tonnes.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Akdital: VISA DE L’AMMC SUR LE PROSPECTUS D’AKDITAL RELATIF A L’AUGMENTATION DU CAPITAL SOCIAL RESERVEE AU PUBLIC

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.