Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Chronique d’humeur et journal intime

Le 19 juin 2024 à 11h14

Modifié 19 juin 2024 à 11h14

Tenir un journal régulier ou soutenir une chronique périodique. Deux formes d’écriture qui font appel à une certaine subjectivité, l’une intime ou égotiste et l’autre partagée et adressée à une lecture externe. 

"Là où les idées manquent, un mot arrive toujours à temps." Cette citation griffonnée il y a longtemps dans un petit carnet de notes est de Goethe. Elle est probablement tirée d’une ancienne biographie du poète allemand que j’avais lue dans un temps passé et dont j’ai gardé quelques bribes de lecture alors que je tentais de tenir un journal. Vaine tentative car en guise de journal je n’ai obtenu que des notes éparses sur des bouts de papiers ou des petits carnets décoordonnés, voire souvent sur des tickets de train griffonnés du temps de la navette ferroviaire mémorable, une vingtaine d’années durant, entre Rabat et Casablanca.

Tenir un journal exige une discipline de fer et je ne suis pas discipliné. Ce récit de soi tenu au jour le jour, pour y inscrire au présent faits et gestes, lectures, émotions et impressions sur sa propre existence, est considéré comme un genre littéraire singulier. Une forme d’écrit à l’intersection de l’autobiographie et des mémoires. Il servirait, plus tard, à alimenter la première et à fixer la souvenance des seconds pour ceux qui portent et nourrissent cette ambition littéraire égotiste. C’est aussi une matière pour les critiques et d’éventuels biographes dans laquelle ils puisent aisément une matière indispensable pour connaître ou faire connaître la vie et l’œuvre d’un auteur ou de toute autre personnalité plus ou moins illustre.

Certains journaux sont passés à la postérité par hasard après avoir été perdus puis retrouvés. Le cas emblématique est celui de Kafka dont on célèbre cette année le centenaire de son décès. D’autres ont été écrits à dessein pour la postérité afin d’accompagner une œuvre en gestation, la prolonger ou tout simplement pour laisser les preuves ou les traces d’une vie. Cas, entre autres, du journal d’André Gide. Cynique, Céline disait qu’écrire pour la "postérité, c’est faire un discours pour les asticots". René Char, lui, soutenait à ce sujet qu’un poète "doit laisser des traces de son passage, non des preuves : seuls les traces font rêver."

Ils font rêver ou font écrire. C’est justement une trace – la citation de Goethe susmentionnée griffonnée sur un bout de papier − qui a suscité cette chronique. On devinera peut-être que le chroniqueur peu inspiré et manquant d’idées pour le sujet de sa chronique, a rencontré "un mot arrivé à temps" afin de déclencher la rédaction et s’acquitter de sa tâche. En effet, tout au long d’une trentaine d’années, c’est souvent par sérendipité que certaines idées arrivent (quand elles arrivent) lorsque l’on baguenaude à travers l’actualité, morne ou tonitruante, dans l’espoir de trouver le sujet idoine pour une chronique. Tout au moins lorsque celle-ci est d’humeur ou chronique du temps qui passe comme je définis la prose relativement hebdomadaire livrée ici. Genre singulier dans le rubricage d’une publication, la chronique est un silence et une perplexité. Un lapsus parfois. Une note de jazz improvisée. Intuitive. Fille d’une sérendipité heureuse.

Mais quel est donc ce mot qui arrive à temps dont parle l’auteur des Souffrances du jeune Werther ? C’est, on l’aura deviné, le mot "journal", et plus encore "journal intime", qui m’est venu à l’esprit en relisant la citation notée. Cependant, ne tenant ni régulièrement ni intimement un journal, l’auteur de ces lignes s’est demandé si l’exercice hautement subjectif d’une chronique d’humeur, depuis plus de trois décennies, n’était pas en fin de compte l’équivalent de la pratique d’un diariste au long cours. Tenir un journal ou soutenir une chronique en toute subjectivité, toujours la même et se voulant sans cesse renouvelée ?

Le mot journal a évoqué puis déclenché un processus mémoriel ou mnémotechnique et c’est ainsi que l’idée − si on peut la qualifier comme telle − de parler de l’exercice diariste s’est imposée. Et voilà donc le chroniqueur procrastinateur embarqué dans ce genre d’écriture qui fait de l’intime une matière pour alimenter le récit journalier de la vie de ceux qui le pratiquent.

Mais la pratique journalistique de la chronique peut parfois être assimilée à l’écriture plutôt du journal "extime" offert à une lecture externe. A l’inverse, le journal intime serait destiné parfois à être caché du regard d’autrui, par pudeur, modestie ou par précaution.

A propos de cette dernière, pour l’anecdote et pour les mœurs journalistiques locales d’hier, quand la précaution et la prudence étaient de mise, une "sagesse médiatique" circulait parmi certains chroniqueurs tel un bréviaire conseillant ceci : ce que tu penses, ne le dis pas. Si tu le dis, ne l’écris pas. Si tu l’écris, ne l’imprime pas. Et si tu l’imprimes, débrouille-toi !

Enfin, et pour revenir à la chronique du journal, disons qu’elle obéit aussi à d’autres urgences, moins intimistes et plus élémentaires ou alimentaires, sinon narcissiques, et à ce qu’on appelle le "deadline", cette échéance fatidique du délai de la remise de la copie fixé par le journal du temps où ce dernier était conçu, écrit, corrigé, mis en page, imprimé, empaqueté, chargé, transporté dans des camions, distribué d’abord sur le trottoir des grands boulevard lors de la première criée avant les kiosques et enfin dans les cafés où il passe d’une table à l’autre. Il était lu sauf le jour où il ne paraissait pas. Un jour sans journal. Et comme ce jour-là, le journal n’a pas été distribué de toute la journée, il ne s’était rien passé ni dans le pays ni dans le monde…

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