Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

France, le débriefing du Président

Le 24 juin 2024 à 18h21

Modifié 25 juin 2024 à 7h18

La France vit des moments historiques avec cette dissolution inattendue, incomprise, presqu'inavouable. Ahmed Faouzi analyse les différentes forces en présence et s'attarde sur Emmanuel Macron.

Trois jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale le 9 juin dernier, le Président français a donné une conférence de presse pour expliciter sa décision et donner les vraies raisons qui l’ont poussé à prendre ce risque. Trois jours d’intervalle ont suffi à chambouler la scène politique française de fond en comble. À droite, le parti des Républicains a renié son président Éric Ciotti. À l’extrême-droite, le Renouveau d’Éric Zemmour s’est fissuré et un clan a rejoint le Rassemblement National, RN, de Marine Le Pen. Puis, comme par miracle, le Nouveau Front Populaire est apparu soudainement à gauche.

Si les contradictions de la droite sont rapidement remontées à la surface au profit du RN, le bloc de la gauche s’est constitué, dans un temps record lui aussi, en un nouveau pôle au lendemain du discours présidentiel. Le Nouveau Front Populaire, NFP, regroupant toutes les forces de gauche est venu répondre au besoin impératif d’unir les forces de gauche pour faire prioritairement barrage à l’extrême-droite, mais aussi à la majorité dirigée par le parti de Macron, Renaissance.

La droite et l’extrême droite: l’entente difficile

La question du rapprochement de la droite avec l’extrême-droite a toujours empoisonné la vie politique en France. Par le passé, des arrangements se nouaient discrètement et en catimini lors de différentes échéances électorales entre les deux mouvements, ententes souvent décidées au sommet. De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, la droite gaullienne s’interdisait, face à l’opinion nationale et internationale, tout rapprochement avec une extrême droite xénophobe négationniste et anti-européenne.

On se rappelle qu’un mois avant les élections présidentielles de 2007, Chirac s’adressa aux Français pour les mettre en garde face à la montée de l’extrême-droite. Dans notre histoire, avait-il pronostiqué, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme, c’est un poison, et tout dans l’âme de la France dit non à l’extrémisme. Dans l’esprit de Chirac, comme chez beaucoup de gaullistes, on ne pactise pas avec un parti fondé par les pétainistes et les héritiers de l’Organisation de l’Armée Secrète, OAS, qui tentèrent d’assassiner le général de Gaulle.

Ces conseils ont été vite oubliés par une partie des nouvelles générations des gaullistes, tandis que d’autres étaient tentés par moment de sceller une cohabitation avec le Rassemblement National. Pourquoi, se demandent certains, s’interdire de faire alliance avec le FN, alors que par le passé les gouvernements socialistes se sont alliés aux communistes et à l’extrême gauche pour gouverner ?

Ce n’était pas l’unique raison qui a poussé le président des Républicains Éric Ciotti à s’allier hâtivement au Rassemblement National sans en référer au bureau politique. Ce parti gaulliste a perdu depuis longtemps de son aura en raison des luttes intestines, et de la fuite de ses cadres vers d’autres horizons. Mais c’est surtout la perte d’audience auprès de l’opinion publique qui a poussé son chef à prendre cette position extrême. La preuve ? Le parti les Républicains a enregistré le mauvais score de 7,25% aux dernières élections européennes devenant ainsi la cinquième force du pays.

C’est en raison de ce décrochage électoral qu’Éric Ciotti avait expliqué sa décision de s’allier au RN par la nécessité de préserver le groupe LR à l’Assemblée nationale.  Il a poussé l’outrecuidance à présenter le RN comme un simple parti de droite avec lequel il serait naturel de s’entendre. Il est vrai que le président des Républicains traînait depuis bien longtemps des idées extrêmes notamment sur les immigrés sans que cela semble gêner ses compères. En décidant de s’allier au RN, il a ouvert sciemment une crise supplémentaire dans le champ politique français, qui s’est ajoutée à celle de la dissolution de l’Assemblée.

Tout semble pour le moment réussir au Rassemblement National d’autant plus qu’une partie du mouvement Reconquête d’Éric Zemmour l’a également rejoint. C’est le cas de Marion Maréchal, qui avait quitté le RN pour rejoindre Reconquête, et qui par la suite en a été exclue pour avoir soutenu les candidats de la coalition Bardella- Ciotti. En quelques jours seulement, la scène politique française traditionnelle a volé en éclats, et les alliances ont muté au sein de la droite comme dans les partis de gauche qui ont lancé le Nouveau Front Populaire, NFP.

Le Nouveau Front Populaire

Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, les forces de la gauche française ont constitué ce qu’elles ont dénommé le Nouveau Front Populaire NFP. Elles se référaient au Front populaire institué par Léon Blum en 1936 en vue des élections législatives et qui n’a duré que deux années après avoir connu quatre gouvernements de suite. La gauche s’en rappelle généralement pour les acquis sociaux générés pendant cette période qui a précédé le conflit mondial.

Les membres du NFP se sont mis rapidement d’accord sur un ensemble de sujets internes qui souvent les divisent, comme sur l’éducation, la santé, l’économie, le climat et bien d’autres problématiques. Au niveau international, ils ont mis de côté, comme pour s’en débarrasser, leurs divergences sur les questions de l’heure comme l’Ukraine et la Palestine. Ils ont défendu la souveraineté de l’Ukraine et son intégrité territoriale, et réclamé la reconnaissance de l’Etat de Palestine à côté de l’État d’Israël. Toutes les différences et les différends ont été escamotés, comme par miracle, sous des généralités qui ne fâchent personne.

Passé le choc de la dissolution de l’Assemblée, les membres du NFP cherchaient seulement à unir leurs forces pour défaire le piège dans lequel le président Macron a voulu les entraîner. De l’Italie, où il participait au G7, Macron n’a pas hésité à critiquer leur programme très dépensier selon lui. Il a relevé, à dessein, les fortes turbulences qu’il a provoqué rien qu’à son annonce. Les fortes turbulences sur le marché financier donnent un avant-goût de ce que serait l’avènement de ce programme totalement irréaliste, avait-il dit.

Le debriefing de Macron

Trois jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, Macron était dans l’obligation de tenir une conférence de presse pour expliciter sa décision et fournir les arguments qui l’ont poussé à la prise d’une telle décision. Entre temps, tout le champ politique français, de gauche comme de droite, a connu une effervescence, un électrochoc et un chamboulement inattendus. Des alliances sont apparues que le président a vite qualifiées de contre-nature, qui ne sont d’accord sur rien, sinon sur des postes à partager, selon lui.

Macron a surtout récusé l’idée que sa décision de dissolution était irrationnelle ou une réaction émotionnelle.  Il l’a justifiée par l’état d’une Assemblée Nationale bloquée faute de majorité absolue, et qu’une simple motion de censure pourrait faire tomber la majorité dès l’automne prochain. Il s’est dit désireux de négocier, de bonne foi, avec ses adversaires politiques en leur proposant un ensemble d’actions à mener avec une méthode radicalement nouvelle, dit-il.

Tout en s’ouvrant sur les autres partis politiques, il a tenu à assumer totalement cette situation en soulignant qu’il n’était pas parfait et qu’il était même prêt à faire mea-culpa pour ses erreurs passés. Il a cependant critiqué aussi bien le Nouveau Front Populaire qui vient d’être constitué à gauche, que le Rassemblement National à droite, qui sont ses véritables adversaires et concurrents.  Mais c’est à l’égard du Nouveau Front Populaire que Macron a été le plus critique en  évoquant une pensée pour Léon Blum, l’homme d’État socialiste fondateur du Front Populaire en 1936, qui doit se retourner dans sa tombe, dixit Macron.

En direction des Français tentés par l’extrême-droite, le Président les a avertis que si le RN venait aux responsabilités, il ne saurait comment financer les retraites qui vont baisser, et que les prêts immobiliers allaient à leur tour flamber pronostique-t-il. Puis, pour faire réfléchir ses citoyens sur la position de l’extrême -droite sur l’immigration, il posa la question sur le sort qui sera réservé aux binationaux d’origine étrangère qui, laisse-t-il entendre, peuvent être expulsés à la première occasion.

Tout au long de ce débriefing, le discours de Macron n’avait pas pour objet d’argumenter l’initiative de dissolution de l’Assemblée Nationale. Il était surtout une occasion pour faire appel à tous ceux qui ne veulent pas des partis extrémistes de gauche comme de droite à le rejoindre. À ces deux blocs, Macron a proposé, ou plutôt fait miroiter, une fédération de projets pour gouverner, qui ne serait pas, dit-il, du genre qui m’aime me suive, selon sa propre expression.

Le fait d’attaquer de la sorte les deux grandes tendances qui se sont formées contre sa politique, ne sied pas réellement à son rang de président, censé unir la nation au lieu de la diviser. On a deviné par la suite la raison pour laquelle il a organisé ce briefing lorsqu’il a proposé une troisième voie, un bloc central, progressiste, démocratique et républicain, pour continuer à gouverner le pays. Il a même énuméré un ensemble d’actions à mener avec ceux qui veulent bien le suivre en adoptant une méthode radicalement nouvelle selon ses propos.

Tout laisse apparaitre que dans leur majorité, les Français ne font plus d’illusions sur les politiques que Macron propose pour continuer à gérer le pays et se maintenir à la tête de l’État. Ce Président a lancé tant d’initiatives, sur le plan intérieur comme à l’échelle internationale, qui sont restées sans lendemain. C’est ce qui a fait dire au chef des socialistes Olivier Faure, que Macron n’a plus rien à dire et plus rien à proposer. En convoquant les Français à des élections législatives, alors que rien ne l’obligeait à le faire, Macron cherche tout simplement à prendre à court ses adversaires et sauver ce qui lui reste de son mandat.

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